Extraits : Voyages égarés

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VOYAGES ÉGARÉS
Librairie le Pont de l'Épée / Guy Chambelland, Éditeur. Paris 1987

 

Extraits.

CHRONIQUES DES ANNÉES CAPTIVES

1
Le désordre mûrit hors du sommeil. Insomnies
infectées par le verbe étranger.
Contraint à la prolixité d'une mémoire
qui fait ses excréments.
Je m'abandonne, sans cesse précédé
de craintes. L'année éparpille ses phrases
pesante comme une active mâchoire
à concasser le captif. (p.9)

4
Sur les hauteurs qui saignent,
l'avenir noir descend.
Est-ce que le royaume existe
pour l'homme aux yeux de sang ?
L'homme en vie questionne
le vieux pays agonisant :
il remercie l'espace bleu
même s'il voit vivre l'avalanche.
Et son cœur écoute le sang
gâter ses veines.
La mort martyrise sa mémoire.
Mais s'il languit dans le chaos,
il n'oublie pas qu'il faut grandir
au plus fort des heures ennemies. (p.12)

ENTRAVES (FRAGMENTS)VOYAGES ÉGARÉS
1
Quand je reviendrai à moi, après un long détour désespéré, je vivrai dans l'audace de la rigueur et de l'accalmie. Ce que j'écris, je le sais, concentre des égarements obstinés. Mais les erreurs sur le monde seront un jour utiles pour tous les sens. Appliqué à m'engloutir à l'intérieur du truble, forcément je sauverai l'aventure oblique qui loge dans les nœuds de toutes les morts fréquentées.(P.31)

10
Je me suis éloigné comme un homme qui désire s'égarer. L'infini s'éprouve. Vivre en abîme. Si lent, je cherche l'achèvement de l'origine, la loi des fins étrangères. L'ineffable rigueur qui sévit devant moi. Je me suis écarté des honneurs dogmatiques, car la vie s'altérait, cousue dans l'habitude, la vie près de mes lèvres et jamais embrassée. De longs jours faibles, sans obstacles, au gré du vide persistant. J'errais dans la maison, serré dans sa chaleur, dans une solitude perdue. Mon sang s'était engourdi sous l'effet d'une mémoire artificielle. Et tous mes sentiments mentaient à la vie même par mille espèces de haines approximatives. Des sites immémoriaux avaient pour moi la densité de l'idéal. présent je n'ai rien à défendre : que l'essaim des saisons, le temps inhabitable, l'instant d'un mot qui désaltère.
Je dis qu'il faut laisser vieillir les ruines.(p.34)

12
Accomplir sa fonction d'obscénité. (p.34)

SYMPTÔMES

OBLIQUES
I
Collé à l'éclat des montagnes. À l'âcreté du temps.
Le corps crée des sueurs, déambulant dans une
lumière impitoyable.
La route monte vers des étreintes plus serrées.
Vers la vie sans histoire des sommets.
Dans l'imperfection dormir un jour de plus. Dans
l'abandon, l'obscurité, l'inaccompli. Et murmurer
des mots pour l'amitié qu'ils implorent. Mots affairés
vers des feux noirs, frais de mille jeunesses.
Innombrables cris innocents. Le pays idéal sur comme
un trou de femme. Il saignera encore. Sur mon corps
dansait l'Amante, attisant par son humidité la nuit
qui passionnait notre chair. (p. 47)

 

RAISONS PERSÉCUTÉES
8
De jour en jour, les soleils s'empilent dans ma chambre comme des assiettes sales. Soleils salis par les brouillards, les ennuis, les rêves abstraits. S'il m'arrive d'échapper à la glu immobile, à force de murmures aérés, d'exercices audacieux, d'humour, c'est par le même art qui de la mort fait un ciel de fertilité. Parvenir de cette façon à respirer à l'intérieur des paysages, circuler dans la fiction du monde, et, l'espace de quelques mots, décomposer l'inconnu que mes yeux lissent ordinairement.(P.60)

9
Au-delà des fumées. Au terme des
ornières. Dans la douceur de nos fatalités.
Au-delà de nos intimes promesses.
Là où la beauté est tonique,
la santé crépusculaire. Revenir
à l'instant primitif. Comprendre
les fonctions de la nuit. Fiévreusement incurable.
Et la mémoire connaîtra l'euphorie de son avenir.(p.61)

AU FRÈRE
Ne t'effraie pas d'une inaptitude temporaire, d'une subjectivité si peu narrative, comme si la réelle vacuité devenait l'impensable. Tout mot que presse l'informulé engendre du vivant.

Enfin, je n'ai plus de pays à refaire. Non que je sois à l'agonie dans les débris ou dans l'obscurité, mais je préfère au pays un paysage qui vive dans mon ventre, où l'œil dérive plus loin que l'air.

L'air durcissait avec le pain, le rêve humain était fouetté par d'incroyables serres. Impossible de parler. Se taire aussi était impossible.

J'ai laissé mes frères sur leur rive.
Ils font ce que je ne s
ais plus.
Rêves en croix, rêves en cris.
Rêves de pays reconquis
Que j'ai perdus,
Massacrés dans ma bouche…
Rêves que je ne suis plus.