Mai. Ah, quel délice ! Ah, quel délire ! (extraits)
3
Dans l'esprit des gens le cadavre parle. Les idées font tintamarre
abracadabrant, un bruit de bluff exhibitionniste. On est partout dans des
joies désorientées, des féodalités absolues, des
protocoles de guerre et paix infantiles, nos inventions sont endiablées,
nos communions sont des complots, nous avons des impertinences artistiques
à faire sauter les goupilles, les calmes sont massacrés, les
avenirs utiles, et la vieille vaillance s'est vautrée dans le ventre
du travail. On mijote avec ses crispations, attaqué par des hostilités
sournoises, proie de mille croisades lancées par des hurluberlus. La
paix c'est notre hémorragie, tellement de choses que nous respirons
du Déluge. Ah, quel délire !
Nous avons roulé sous les arbres ensemble avec le fleuve parallèlement,
sur une portion de route accordée à nos aises, nos bicyclettes
faisaient merveille et déployaient leur course en mimant l'eau qui
s'écoulait sans hostilité. Et nous n'étions ni enfants
ni père, ni vainqueurs ni vaincus. Ah, quel délice !
4
Ce livre qu'on a lu palpitant comme une viande, c'est de la chair qui parle,
avec l'humanité dedans, livrant contre les mots, sans héroïsme,
rien que pour se garder des gâteries intellectuelles, mille fulminations
contre l'argent, ce vieux marionnettiste qui fait les hommes marcher comme
des soldats, des travaillés par le travail, corps emboutis par l'hostilité
noire de la matière. Ah, quel délire !
La femme fouillacée par l'homme corps et âme, et pour tout dire dans le franchissement des barrages, et pour tout dire, quand on met en communion les territoires de l'un et de l'autre, dans un métissage des classes au profit d'un croisement péremptoirement biologique, sorte de premier jour et d'épuration, c'est agréable, une confusion qui écrase les peurs et rend notre animalité, respectée enfin, presque mystique. Ah, quel délice !
5
Couché sur le canapé, je cherche à faire aux arbres des
figures. C'est comme inventer, par une application prolongée du regard
en un même point de la frondaison, des gueules de géants qui
mâchent ou des crétaures qui s'ébrouent à la faveur
d'un vent propice aux élasticités. Ainsi, loin des servitudes
réelles, après de longues minutes patientes, passées
à saisir mon objet, il arrive que je triomphe par la reconnaissance
d'une forme fugace que je maintiens captive de mon attention, qui n'appartient
qu'à moi et qui danse au bord de l'imprévisible. Ah, quel délice
!
Il m'arrive, mijotant sur le canapé, de couler dans ma désuvrance,
n'ayant rien pour exister, de m'émietter dans une absence totale d'obligations,
à l'écart du tout-travail, dans l'oubli même de mes propres
enfants, le ciel en pleine face, un ciel spumeux et qui me stupéfie.
Ah, quel délire !
Extraits : Voyages égarés
Fragments de figures apatrides 1 2 3 4 5 6
Une année mots pour maux Octobre 1 Novembre Décembre Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre 2 Couverture