Une année mots pour maux - Juin

Juin. Contes à rebours (Extraits)

1 Marie-Anne


Voilà, j'ai fait deux tentatives de suicide, j'ai dormi 6,7 heures, une fois j'ai pris 40 comprimés, une autre 60, et je me suis réveillée toute seule, ce qui a surpris les médecins, mais maintenant qu'est-ce qu'il me reste, la voie ferrée ou le gaz, avec mon psychiatre j'avais des relations plutôt houleuses, comme je contestais sa fonction, il l'a très mal pris, à présent il ne veut plus me répondre au téléphone, c'est vrai que j'ai adoré mon père, mais de là à ce qu'il couche avec sa fille non jamais, même si j'ai eu une éducation plutôt froide, aujourd'hui mes frères refusent de me parler, et puis j'ai dû faire le vide autour de moi, de mes trois enfants seule ma fille la dernière vient me voir, elle a 18 ans, elle veut aller au Liban rencontrer de jeunes chrétiens, on a très peur à cause des mines, mon mari est un ancien militaire, comme mon père, c'est comme ça que je suis née à Phnom Penh, mon père ne voulait pas que je fasse des études, " On te trouvera un beau militaire", c'était son idée, à Paris on me traitait de petite Siamoise parce que j'étais née à Phnom Penh, j'ai eu une mauvaise scolarité, mais en troisième mon professeur de français m'aimait bien et me donnait les meilleures notes, j'ai fait ensuite une école de secrétariat, j'avais des petits copains mais j'étais très surveillée, j'ai eu un ami, il avait 35 ans, il tenait une boîte de nuit, et puis un jour mon père m'a présenté un jeune lieutenant, il a eu le coup de foudre, moi je n'étais pas vraiment amoureuse, j'avais peur de me marier, et puis je me suis mariée, j'avais 20 ans, il est devenu très vite brutal et jaloux, j'étais stérile, les professeurs ne comprenaient pas, et puis un gynécologue a vu que c'étaient mes ovaires, j'ai eu un fils à 23 ans, depuis ce jour, mon mari s'est détourné de moi au profit du petit garçon, j'étais mal dans ma peau, je rejetais cet enfant, ensuite j'ai eu une fille, j'avais 24 ans, il s'est détourné de moi et de ma fille, j'ai fait une dépression nerveuse, j'avais des envies de suicide, mais je n'en avais pas le droit, j'ai lu les évangiles, j'étais illuminée, mais ça n'a rien fait, mon mari est devenu odieux, il s'est mis à me frapper, il faut dire que son père était resté 5 ans en captivité en Allemagne, mon mari était l'aîné de quatre enfants, son père buvait, sa mère était dans la couture, ils ont fait entrer leur fils dans une école pour qu'il soit prêtre, lui n'a pas voulu, il s'est inscrit à l'école militaire, excellent élève il en est sorti avec mention bien, il est devenu ingénieur, il travaillait dans la guerre moderne, il lui arrivait de diriger une vingtaine d'ingénieurs, et puis il a eu des ennuis dans son entreprise, et il a tout perdu, maintenant on fait chambre à part, je me demande si je n'ai pas payé à la place de sa mère, je me laissais faire quand il me frappait, et j'avais un peu honte, il faut dire que dans ma famille si on tapait c'est qu'il y avait une raison, on sortait beaucoup, j'étais très mince, ma belle-mère disait : Enfin un mannequin ! il était jaloux quand je dansais avec un autre homme, à la maison il se montrait très désagréable, et puis il me faisait des scènes terribles, il a tenté de m'étrangler, je lui arrachais ses lunettes, je le griffais, les gosses regardaient ça, personne ne me donnait des conseils, j'ai fait du yoga, ça m'a transformée, et puis je suis tombée enceinte, j'avais peur de l'avortement, mais j'ai fini par accepter, c'était une fille alors qu'on croyait que ce serait un garçon, un bébé très vif qui pesait 2,4 kg, mon mari me battait quand j'étais enceinte, un jour il m'a poussée dans l'escalier en criant : Crève, et ton gosse avec toi ! c'était une petite fille qui avait tendance à l'autisme, le médecin nous a mis en garde : Sollicitez l'enfant, sinon dans un mois il faudra la traiter, et on l'a sauvée, et puis mon mari m'a trompée, mon fils a touché à la drogue, à l'époque mon mari me battait toujours, mon médecin m'a demandé de prévenir le commissariat sinon lui le ferait, on a voulu aller le chercher, j'ai demandé d'attendre, je l'ai prévenu, la prochaine fois j'appelle les flics, depuis il a tout arrêté, maintenant je n'ai plus la force, mon mari ne me parle plus, mon thérapeute voulait que mon père m'ait violée, il me raccroche au nez maintenant, je n'arrive pas à prendre de décision, même si je peux faire des courses, mon fils aussi me frappait.

 

2 Francis

... mal à la tête ce matin. Et pâteux quand il parle, et vasouillard. Il devrait voir son psy, n'a pas encore pris ses médicaments. Ni son café. Et puis il a passé une nuit blanche. Il a souvent mal à la tête. Ça lui prend et ça ne le lâche plus. Alors, il ne dort pas. Y a des moments où il va nettement mieux. Mais pas aujourd'hui. Il a appelé le médecin du Samu, pour qu'on lui fasse une piqûre. Il respire mal. Peut-être qu'après ça il ira mieux. Et qu'il n'aura plus mal à la tête. Alors, il ira voir son psy. Mais on lui a dit que si tu ne payes pas, ça ne marche jamais. Il va y aller quand même.

 

3 Lily

Une voisine s'est suicidée hier, et je suis très désemparée, elle vivait avec son ami, elle l'avait viré de chez elle plusieurs fois, ça s'est passé hier après-midi, il y avait des pompiers dans l'immeuble, elle s'est pendue dans son appartement, je me dis mais pourquoi je ne l'ai pas aidée, on est trois ou quatre voisins et on est tous bouleversés, j'avais des contacts avec elle mais comme ça, elle avait un garçon de 9 ans, le père s'était suicidé aussi, le petit a été récupéré par la DDASS, elle le voyait tous les quinze jours, elle n'a peut-être pas trouvé d'issue, elle ne voyait pas d'avenir, elle prenait des médicaments, il faut dire qu'elle travaillait avec un médecin, c'est lui qui lui donnait ses médicaments, peut-être qu'elle en a trop pris, elle s'est suicidée à 2 heures du matin, je suis encore sous le choc, la famille est venue récupérer ses affaires, d'ailleurs elle avait rappelé son ami, il regardait la télé sur le canapé, elle se sentait pas bien, elle a dit qu'elle allait s'allonger mais non, j'ai entendu hurler, les pompiers sont venus une dizaine, la police et tout ça, son enfant n'avait plus son père, maintenant il n'aura plus sa mère, je le voyais jouer dans la cour, des relations de voisinange quoi, j'ai mal, d'autant plus que je l'ai croisée hier, j'aurais dû m'arrêter, lui parler, je suis isolée, j'ai un ami heureusement, ça marche entre nous, je suis toute seule, l'inspecteur de police est venu chez moi me poser des questions, il faut dire qu'elle n'était pas aidée, une fois elle a volé dans un magasin, le vigile a laissé couler, elle était pas belle à voir, ça fait drôle, à la radio on entend dire que des gens meurent par automédication, elle s'est peut-être empoisonnée...

 

4 Francis

Maux de tête encore. Surtout du côté droit. Hier il est allé à la pute et ça s'est bien passé. Oui, bien passé. Et puis il a l'impression qu'il est en bonne voie. Aujourd'hui, il n'a pas envie de se suicider. Mais il faut qu'il prenne son doliprane. Il voudrait bien aller à la piscine, mais il n'a pas de copains. La pute, ça fait un an que ça marchait plus. Mais vraiment plus du tout depuis un an. Il a vu le psy. Il l'a toujours bien soigné. Il a mal et de plus en plus. Finalement il pense qu'il va quand même aller à la piscine.

 

... Denis

Couché, tu te rêves avant même de rêver vraiment, mais déjà presque dedans, rêvant de te faire disparaître, puisque tout ça c'est trop pâtir. Tu es crispé sous une charge. C'est insupportable être traité de la sorte. Comme ça tu ne seras plus à toi, ni toi. Te tirer dans la tempe. Et hop ! Dehors c'est tellement glacé. Là, sous la couverture, au chaud, comme tu aimerais. Pfuitt ! Te faire sauter. Pfuitt ! Dans la tempe tirer. Dans la tempe. Le point final. Pfuitt pfuitt ! Et c'est tout. Tu tombes de sommeil.

 

 

 

 

 

 

Extraits : Voyages égarés

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