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du temps répand sa corruption sur toutes choses.
La cause de tout ÇA, cest la machine à traire et à
servir les hommes. Je men suis rendu compte le jour où mon rasoir
est tombé en panne. Ce nétait pas très grave, vite
remplacé par un autre avec lame. Mais, le lendemain matin, ce fut le
tour de ma voiture. Elle fumait et je fulminais contre elle. Comment me rendre
chez mon dentiste ? Je lui téléphonai pour me décommander.
« De toute manière, je naurais pas pu vous prendre. Ma
roulette ma lâché avec mon deuxième client, me dit-il.
Mais je pense que
» Et là, un blanc brisa net notre conversation.
Impossible de recevoir la suite, le téléphone ne voulait rien
entendre. Que faire ? Je restais comme un crétin des îles, aussi
prisonnier de ma cabine téléphonique quun poisson dans
son aquarium. Javais gardé le combiné collé à
mon oreille dans lespoir que des paroles en jailliraient. « Je
te sers et tu mes asservi. Je te sers et tu mes asservi. Te serre
et tue
» Javais bien lu ce genre de litanie mille fois,
mais ce jour-là, cétait une vérité qui venait
de me révéler lordinaire de mon existence. Je tournais
en rond dans ma cabine dressée au beau milieu dun parking. Autour
de moi, voitures, vitrines, feux tricolores, ventilations, motos, téléphones
mobiles, ordinateurs, appareils de photos, avions
Dun vert cynique,
un diablotin perché au centre dun anneau dor madressait
un sourire sec de bienvenue aux enfers. En effet, jétais entré
dans un labyrinthe de tubulures, de griffes, de fils électriques à
nen plus finir. Jeus lorteil écrasé par une
soupape, je coulai dans une bielle, jétais compressé par
le climatiseur, puis vidangé, culbuté, culassé, passé
en chambre de combustion
Javais des sueurs dhuile. Des morceaux
de viande traînaient sur des religions de ferrailles. Toute la chair
du monde sembarbelait sur les machines, les perforeuses, les encrasseuses,
les râpeuses, les encastreuses, les charognardes
et en ressortait
en lambeaux. Et la cause de tout ÇA, jen suis persuadé,