10
ça, nous avons déposé blessés
et morts sur les navires et déchargé tout le nécessaire
pour établir notre camp avant la tombée de la nuit. La colline
dégoulinait du sang de tous les cadavres. Jai vu un arbre du
voyageur comme un éventail de chair qui déchirait le ciel. Des
fougères arborescentes coupées net. Des troncs affalés
par les rafales, des feuilles de bananiers déchiquetées en dentelures
dhorrible rieuse. On avait glabré ce mont comme un cul. Alors,
pour nous remettre, nous avons sorti nos guitares, ouds et violons. Chacun
jouait sa part de nostalgie. Les sons coulaient sur les charognes. Cétait
une faisanderie qui remontait vers nous avec le vent de mer ; nos feux de
camp qui dégageaient lobscurité nous laissaient entrevoir
les reliefs de nos combats. On jouait des airs brisés par la douleur
davoir perdu des camarades. On rêvait lil dans les
flammes à des choses infestées par la bouillie et le chaos.
Par exemple que nos guitares, ouds et violons gisaient comme des géants
autour desquels nous nous battions au plus près de nos ennemis. Cest
alors que jai vu, monté sur la pointe redressée dun
archet, un cheval blanc sans cavalier. Il contemplait, aérien, le spectacle
de la catastrophe qui mijotait comme une rampante pourriture. Plus je le regardais,
plus me fascinait sa beauté. Par instants, mon être se détachait
de ma propre vie pour habiter son corps. Mais ces instants se prolongèrent,
et cest ainsi que je me retrouvai ailleurs une souris