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certains allaient s’agglutiner sur la place principale de leur ville ou de leur village, à la manière des pingouins, pour entendre le plus éloquent d’entre eux leur tenir des discours réconfortants. Mais celui qui emportait tous les suffrages, qui savait galvaniser les foules, c’était le colonel Kurtz, un colosse aux larges épaules et au regard terrible. Il lui suffisait de brandir les poings au-dessus des têtes pour créer dans les esprits la croyance que l’homme finirait un jour par triompher des incertitudes qui pesaient sur son avenir. Il parvenait à ce résultat autant par l’impression de terreur que procurait son corps bardé de carapaces et formé de pics, ergots et cornes de toutes sortes, que par le papillon d’une espèce inconnue qui restait posé sur son poignet gauche comme d’autres en font un perchoir à l’usage du faucon quand il chasse. Ces attributs extérieurs lui conféraient une expression de tyrannie que tempérait la douce fragilité représentée par les ailes bleu argent du lépidoptère, de sorte que les foules qui se précipitaient aux pieds du colonel n’osaient pas regarder dans une autre direction, ni penser autrement que selon la voie indiquée par ses paroles. Tous étaient prisonniers de la peur que le monde exerçait sur eux et de celle que le colonel Kurtz faisait peser sur leur conscience s’ils venaient à s’éloigner de ses recommandations. Kurtz exigeait d’eux un accord total de leur personne, en échange de quoi il leur promettait une terre de bonheur retrouvée aussi belle qu’une aile de son papillon. Ainsi tous étaient embarqués sur le même vaisseau de la vie vers une destination qui n’en demeurait pas moins inconnue malgré les apaisantes prophéties de leur guide. Dans cette foule de magnétisés, vous me reconnaîtrez à mon crâne chauve, ma tête grosse et mon corps minuscule. Assis au bord de cette nef pleine de poux, je suis en train de regarder ailleurs. Ma pensée traverse

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