Un Nôtre Pays
(trois voyages en troisième Arménie)
Extraits 2
Dans lavion
LArménie rend fou. La jeune femme qui a pris place près de moi, une comme on en voit rarement circulant dans nos airs lines, teint nordique, des yeux qui sourient à tout être qui passe, va magacer en sourdine deux heures durant avec son petit rien de vie énigmatique. Jai du mal à me défaire de ma voix propre, la noire, lintime. La proximité dune personne, quand la situation invite à partager un temps forcément clos, me rend nerveux. Comme si jallais passer au confessionnal pour raconter mes petites intrigues en les idéalisant. Cest elle qui a lancé les premiers mots. Quest-ce que vous venez faire en Arménie ? Une question comme on en pose à un criminel. Jhésite. Je fais mousser les secondes. Mais cest à toi, ma belle, que je devrais parler comme ça ! Des années que ce morceau de terre ménerve lesprit. Une marotte brute qui me pousse à grogner, bondir ou narrer limpossible. Mais comment enjoliver aux yeux de la voyageuse, et sans trop de narcissisme, le portrait du prédateur parti chasser les signes de malédiction au pays le plus capiteux qui soit ? La femme ne sait pas elle-même que mon esprit la mise en mémoire avec lidée de la ressortir par écrit pour les besoins carnassiers de mon livre. Je suis comme laraignée qui enveloppe la mouche imprudente, qui la suspend dans un coin de sa toile en attendant de lui sucer son intérieur. Je me lâche, je laisse courir les mots les plus convenus. Jy vais pour manigancer un bouquin. Cest dit avec lenvie de gratter lautre sur sa curiosité. Un livre sur quoi ? Un livre sur qui ? Un livre comment ? Épique ? Critique ? Poétique ? Rien quun livre sur les jours et les nuits des gens, tout simple et monté avec du mordant, du gloussant et de laboyant, qui soit assez intrépide pour braver les astucieux gorilles de la politique, et fait pour ébranler les extasiés naïfs, les permanents de la pâmoison patriote. Mais, dites-moi, vous, laquelle de toutes nos haïeries vous accroche ? Je veux parler de celles qui font perdre sa félicité au moindre voyageant capable de sextrader des bus touristiques et de sortir des rues fringuées à leuropéenne, et de tout lopéra capitaliste qui laisse chanter ses ors le jour et ses lumières le soir ? En clair, je veux savoir son mal. Sûr quelle a un défaut dans la tête pour sêtre décidée à plonger dans le poisseux des vies qui sagrippent à la moindre compassion de peur de culbuter. Elle me dira son amour pour les Haïs comme une mystérieuse imitation de sa nativité irlandaise. Ah Irlandaise ! Une année, elle sy est mise à fond pour apprendre la langue. Dans sa bouche, les mots haïs se donnent des airs de colibri. Car parfois, elle se lance à parler pays. Ça me touche à la base ces mots de nous dits par elle, ça me brise les cloisons. Nous qui perdons la langue, voici que dautres nous la remontent comme un chant de palais. Pour assister une amie en instance de mariage, elle a pris lavion. Mais cest aussi pour mettre en place un programme déducation civique à lusage des petits Haïs. Quoi ? Comment ? Je serais tombé sur une bonne sur venue pour décrisper des mâchoires ? Je ne brille plus avec mon livre à incendie. Et même je fais un peu zoulou auprès de sa dévotion toute pure et toute simple. Cest-à-dire, un programme déducation civique ? Elle me répond que les jeunes Haïs, il faut les fatiguer davenir. Comme ça, ils créeront forcément leur pays au lieu de saggraver victimes. Elle a tout un laïus de sage-femme à faire grimacer mes diableries catastrophiques rien quavec son invention dune vie à cur offert. Jai limpression que mon siège me presse de tous côtés. Plus je me tasse, plus il avance contre moi. Si je pouvais leur apprendre la tolérance, le respect dautrui... Cest primordial de leur donner ça... Et cest terrible dentendre une personne inconnue vous parler avec votre voix de fond et qui met sans le savoir votre vérité en spectacle. Il faut venir voir ça ! Ça devrait vous intéresser ? Elle a du bonheur en bouche, cest quelle brûle le parfait idéal, celui de ne pas sépargner, daller toujours chercher les autres au-delà de soi-même. Devant pareil morceau de bravoure, jéprouve comme une monstruosité à mengouffrer dans le cul des merveilles, à décrire à tout prix le carnage, comme si lignominie dans le fond cétait la chose la plus sérieuse pour requérir mon dévouement. Mais dautres, comme elle, poussent le train vers des Amériques. Mille femmes font ça pour ce pays parti au bout des choses, fourvoyé si loin dans le naufrage quon se met à hurler intime plein de colère et de désespoir. Des Haïs de lextérieur y débarquent aussi avec leur cuisine pour nourrir des frères et des surs tordus par lâge et le foudroiment. Ils vont donner du nécessaire. Une soupe, une viande, un pain noir, un pain blanc. Ils prennent les routes, sans jamais se fatiguer. Ils sourient dans le tragique à ces gens quon entraîne vers la crève et la catastrophe. Gloire à eux au plus haut dans les cieux ! Gloire je vous dis ! Ainsi quà toi, Haïlandaise !
Mercedes noire
Je passais devant le temple blanc du grand Zeus, un jour comme un autre de déambulation vers le centre ville. Jallais comme ça sur le trottoir, avec une tête en plein dédale, et des yeux qui voltigeaient partout, se faufilaient en zigzag, à laffût de la moindre douleur. Je me souviens de ce jour-là, doux et tendre, bleu et vert, du blanc lointain (celui de la montagne), du rose debout (celui des immeubles tuffés de pied en cap). Oui, un beau jour qui ne porte pas à se plaindre. Les choses vous avaient un petit air de vie comme elle va, je veux dire quaucune angoisse ne semblait écurer les esprits. Ça roulait, ça marchait, légoïsme ne gâtait pas les nerfs. Certes, javais eu plus haut mon content de crispations, quelques vieux à faire la manche, des paysages urbains déglingués, toujours la même histoire foutraque depuis trente ans que je viens mécouter ici...
Cest alors quun bruit panique ma jeté hors de moi. Lavenue en fut toute secouée ; un ouragan pour tout le monde qui lanternait par là, les désuvrés, les nonchalants, les fils et les filles haïs en file indienne devant lambassade amerloque. Ce fut un énorme tire-toi-dare-dare-que-je-passe, foutre sonore jailli dune Mercedes noire quittant le temple présidentiel, aussi pressée quune tornade, avec sa luxueuse carrosserie qui vous claquait aux yeux. Impossible de savoir qui était dans la bagnole. Les vitres teintées empêchaient de distinguer le clown qui samusait à faire cracher son alarme. Le regard à peine tourné dans la direction du fuyard quil était loin déjà. Parti dans une pirouette avec sa forteresse, il poussait sa gueulante dans le cur de la ville, histoire de vous mettre lesprit en bataille.
Anna A., deuxième
Je lai revue, ma vieille chatte en colère. Pleine de tremblements cette fois, plus quà mon premier passage. Un air gris, une tête pénétrée de frissons, il arrive que lesprit soit talonné par linvincible délire des choses. Elle mapprend la mort de son petit-fils. Son Vartan, génie cassé net, dune maladie quespionnaient depuis des années les généreux docteurs de Los Angeles. Alors la vie après ça... On a beau retenir ses larmes, le fond de lescalier vous aspire, sa vie grignotée à petit pas, car son corps-là, létat visible de sa conscience, raconte comme lui fait mal ce foudroiement dans sa chair. Maintenant, elle voudrait vendre sa quincaillerie et partir. Elle. Partir. Eh quoi, terminé le gueuloir Place de lOpéra ? Et ses jacasseries, ses ruées, ses piques, ses mises à mort, ses râpes, ses guerres, ses harangues, ses moqueries, ses flagellations, vociférations à perdre haleine, tirs à vue, hennissements, bouillonnements et passages à tabac des politiques, histoire de transformer lennui de vivre, les migraines, lignoble concours des cauchemars jour et nuit en quelque chose qui entraîne le cur de tout le monde ... Au vrai, ses blessures lhallucinent. Elle disparaît dans sa cuisine pour nous préparer du café. La voir si faiblement marcher fait mal à mon sang. Une vie sacrée quon aura violée par dix années de corridas. Des ustensiles sont accumulés sur une table. Elle a demandé aux voisins de prendre ce qui leur plaît, moyennant quelques sous. Elle a le geste persécuté par les caprices dun sournois déséquilibre. Si lente et retenue et menacée, la bouillante folle dhier quand elle bramait sur les tripatouilleurs de son pays. Café et biscuits seront posés sur une petite table entre nous, et puis elle sest assise au milieu de son canapé, son trône, un nid pour ses solitudes, jimagine, son lit de vertiges, air tragique, le dos maintenu fort pour éviter de couler.
Elle dit : « ...Je voulais revoir mon petit-fils, cétait mon seul désir, le revoir. LOrgane ma fait aller et venir durant quatre mois, pour savoir qui je recevais, quels voisins, tout ça parce que javais demandé à partir pour retrouver mon petit-fils de vingt-trois ans. Jai toujours été patriote, et jai prouvé avec ma vie que je nai trempé dans aucune affaire. Ce nest pas à mon âge que je vais commencer. Alors, dites-moi, nest-ce pas honteux de mavoir fait ça à moi ? Et dans létat où je suis ? Ils mont tellement fait attendre que maintenant mon Vartanest mort, et que je ne le verrai plus jamais. »
Et voilà ma belle, comment ton pays ta fait payer le droit démocratique de vociférer contre son président, lors des meetings, Place de la Liberté.
« Ce nest pas pour Clinton ou pour Bush que je veux aller en Amérique, parce quils nont quune envie, ces présidents, cest de tuer les petits pays dans luf. Mais lAmérique est le pays qui a voulu sauver mon Vartan. Tous ces professeurs qui se sont penchés sur sa maladie et qui ont tout tenté pour le sauver, je veux les remercier davoir fait limpossible pour mon petit-fils. Mais je nai pas réussi à partir à temps. Javais donné toute ma confiance à Krikor, le condisciple de Vartan, qui avait maintenu des liens épistolaires avec lui. Je pensais quil maiderait à partir en vendant pour moi mes affaires. Car je nai pas des millions, vous savez. Je lui ai confié les clés, et quest-ce que jai constaté ? des objets de collection avaient disparu. Il navait quune pensée, dans le fond, quest-ce que je peux lui prendre à la vieille ? Sans doute, elle cache du fric sous ses matelas. Jai porté plainte auprès de lOrgane. Le Krikor en question devait me rendre ce quil mavait pris et me présenter ses excuses. Après quoi, jaurais pu partir. Mais rien. Le type nest pas venu. LOrgane na jamais rien fait. Ça veut bien dire quils étaient de mèche, tout de même. Maintenant je ne sais plus au juste sils ont voulu me posséder ou non, me voler ou pas. Mais alors à quoi sert lOrgane ? Cest bien quil cautionne tout ça, non ! Je suis dautant plus blessée par lOrgane que, dans le fond, il ny a aucune différence entre lui et ce Krikor. Si au moins, lOrgane lui avait tiré loreille en lui disant quoi, tu nas pas honte, tu as même fouillé dans ses draps, tu as examiné lappartement sous tous ses angles. Son attitude me choquait au point que je lui aurais demandé à ce Krikor, mais quest-ce que tu cherches ? Je ne suis pas millionnaire. Naurait-il pas mieux valu quil se montre digne de la confiance de son ami Vartan, et que je lui confie mes affaires ? Prends, vends tout, au prix que tu voudras, pourvu que je retrouve mon Vartan. Voilà le grand mal quil ma fait. Maintenant, les voisins viennent voir ce que jai à vendre. Mais tout est démodé. Il ne me reste plus quà tout jeter par la fenêtre. Si je nétais pas dans le besoin, je ne demanderais rien à personne. Mais jen suis réduite à ça. Jai ma dignité, vous savez. Je ne me lamente que pour une chose, cest pour mon Vartan. Les professeurs américains avaient compris que ce nétait pas un adolescent ordinaire. Il avait commencé lécole à cinq ans et avait fini par maîtriser sept langues. Mais il a dû quitter luniversité à cause de sa maladie. Cest cela qui me fait mal. Il a été sacrifié par un pays où lanarchie pèse non seulement sur lindividu mais sur lensemble de la population. Par exemple, le procès du 27 octobre , mais de qui se moque-ton ? cest une comédie tout ça, ce voyou tourne son peuple en bourrique. On attend que justice soit faite. En définitive, on se demande si un jour il y aura une véritable justice en pays haï. Comment se fait-il que nous soyons en train de détruire comme ça notre pays et que nos foyers soient à ce point anéantis ? En dix ans, toutes les figures du pays ont été liquidées physiquement ou moralement. On critique Staline sur les procès de 37, mais on fait la même chose aujourdhui. Je ne voulais parler de tout ça, mais cest plus fort que moi, je suis un être humain, que voulez-vous ?
Il ny a plus damour, le temps sest ravagé, elle râle, sa cigarette ne fait rien pour apaiser la foule des mots qui montent. Voilà quelle est devenue une pleureuse. Les féeries dhier sont mortes... Nous buvons le café. La honte, la honte, la honte quun pays mette en bouillie ses vieux comme ça. On enrage forcément. Elle montre les photos de son petit-fils, bouffi à cause des médicaments. Anna sait quil lui faut voir sa fille. Finir près delle. Mais son visa coûte plus quelle ne peut. Cinquante dollars US. Je lui demande de me laisser faire. Impossible pour elle, ça la dérangerait daccepter, elle proteste, on a sa dignité, non, ça lui mettrait du noir au cur. On se décide sur un échange. Deux tasses de porcelaine quon dirait chinoise feront laffaire. Elle enveloppe le tout dans du journal. Soigneusement, de ses mains sèches. Après on va sembrasser. « Je vois à tes yeux qui pleurent sans faire de larmes que tu es des nôtres. » Ses derniers mots avant de la perdre pour longtemps. Pour toujours qui sait. Et puis, cest la plongée dans lescalier, cinq étages à descendre, descendre avant la sortie.
Vana Lidj
Le narquois ! Le vilain bonhomme ! Diable cynique ! Beau pied de nez qu'il lance à tous, narguant ses juges, et merde à toute la ribambelle des frustrés qui voudraient bien le voir derrière les barreaux ! Seulement le Vano, c'est un brouillard. Traître flou et buée sur la vitre. Disparu sans laisser de chance à ses poursuiveurs. Je t'embrouille, esquive à droite, esquive à gauche Et hop ! Envolé le Vano. Tout le monde a sa petite idée là-dessus. Vano, c'est le yéti haï. Certains prétendent qu'il vit en Suisse avec ses dollars détournés. D'autres en Arabie Saoudite, en Iran, sur la côte d'Azur. Les plus subtils pensent qu'il se cache au pays même, dans la capitale, au zoo, avec les ours. Minas D. a confirmé l'y avoir vu. Mais il ne faut pas le dire à tout le monde. On ne sait jamais. Si Vano revenait
Nous roulons vers son ancien palace. Une merveille ! nous a dit une institutrice qui y passa une soirée, invitée par des élèves désireux de lui faire honneur. C'est quelque chose ! Des lumières partout. Étincelant au point qu'on ne peut imaginer ! La merveille se trouve dans la vallée, mais inutile de franchir le pont d'Achtarak. C'est indiqué. Nous roulons sur une route tracée en terrain glabre. Tous yeux dehors. On se demande où peut bien se dissimuler le site qu'on dit incomparable. Pas un faîte à l'horizon. Les hallucinés sont des gens du coin. Beaucoup de lumière, ça suffit à les ensorceler. Mettez-y de la musique, une ronde de voitures en attente, des danseuses, des grooms, des endimanchés en semaine, et les voici qu'ils tournent la page de leur quotidien. Ils sont en pleine rêverie, les yeux ronds comme des noix d'Ochagan.
Nous roulons, et c'est en plein jour. La nuit bouche les difformités, les lampes piquent ce qu'on voudrait pour éblouir le client. Mais là, terres nues à ciel ouvert. Herbes sèches, pierres à fleur et baraques paysannes. Puis rien. Sinon cette barre de verdure devant et la route qui s'apprête à faire un coude et à plonger dans le verdâtre de cette végétation solitaire.
Tout le monde sait, ou suppose, ou tient pour évident que l'ex-littérateur, l'ex-ministre de l'intérieur a tout vendu. Mais on dit qu'il a conservé quelques parts du gâteau. Qu'importe ! On arrive ici en courant de la capitale. Y passer du bon temps, c'est mesurer les bienfaits de la richesse et sentir le fumet de la corruption.
On se trouve tout à coup devant une colline piquée de gros rochers. Et sur la crête un bel avion blanc. Un vrai. "Vana lidj" écrit dessus. Prêt à décoller, l'avion, ou qui viendrait d'atterrir, on ne sait. Mais il est là. Lui qui évolue dans le lisse, il est posé sur une décharge de rochers. Quand je le disais narquois le Vano, c'était ça. Le condamné par contumace jette à la face de ses détracteurs un instrument de haut vol. Je vais, je viens, comme je veux. Balancez-moi vos gros cailloux à la gueule, je me volatilise.
De fait, beaucoup au pays ont intérêt à sa disparition. Fantômas est un gêneur. Une tête en coffre-fort plein de secrets. Dans l'affaire des crimes du 27 octobre, il aurait possédé certaines clés. Vazguen Sarkissian aurait reçu une lettre de lui. Les karabaghtsis lui en voulaient, Kotcharian en tête. Sarkissian les empêchait de gérer à leur façon le problème du Karabagh. Siradeghian l'aurait mis en garde. Lui éliminé, la terreur allait régner sur l'Arménie.
Vazguen Sarkissian a été éliminé et la terreur règne sur l'Arménie.
À la fin des années 80, les leaders du comité Karabagh réclamaient la restitution de l'Artsakh , terres arméniennes données par Staline à l'Azerbaïdjan. Poings levés, musique à l'appui et foules en chur. Des jeunes couraient à la boucherie pour gagner ces montagnes mythiques sur l'ennemi turc. Depuis, c'est ni guerre ni paix. Le boulet pèse au pied du pays. Les haïastantsis en veulent à mort aux karabaghtsis. Ça frise le racisme interne. Et c'est loin d'être beau. Les premiers ont du mal à voir leurs fils aller se faire tuer là-bas. (On le fait à contre-cur, on fuit à l'étranger ou on devient un héros du cimetière militaire de "Iéra plour"). Et certains parmi les seconds demandent l'asile politique à des pays d'Europe, au lieu de s'installer en Arménie. Tout est là. En ce mois d'avril, on verra des karabaghtsis, venus par cars entiers, manifester devant l'Opéra rien que pour dire à leurs frères que l'Artsakh et l'Arménie font un seul peuple . Merci de le rappeler.
Notre voiture tourne en rond dans la cour devant des bâtiments quelconques en demi-cercle. On aperçoit des maisonnettes plongées sous les arbres. Des gens nous regardent tourner et doivent nous trouver l'air suspect. On se croit pris dans une nasse, on a hâte de remonter la côte pour échapper à l'atmosphère bizarre du coin. À croire que l'il noir de Vano nous a suivis d'une fenêtre.
Dans les années les plus sombres du pays, un auteur de nouvelles mué en politique s'est payé ce luxe. On se demande comment. N'est-ce pas, lecteur ?
"Vana Lidj" veut dire Lac de Van. Mais ici pas de lac ! Lui aussi fantôme.
Tous pourris, mais encore !
Le Haï est un sans-loi. Ce nest pas calomnier que de le dire. On doit reconnaître sa force dinsoumission et son humeur aventurière. Les années communistes nont pas assagi ce tempérament patapsychique, car je le vois doté comme un diable de cette ruse raisonnante qui rendrait fou tout cartésien. Cest Mikoïan qui vous aurait vendu des réfrigérateurs aux Esquimaux. La débrouille, la magouille, lesquive, la resquille, la bosse commerçante, le pragmatisme sourd, ainsi va son âme mal accordée à lesprit politique. Des grognards, quoi. Et qui poussent des coups de groin en permanence. Question. Soixante-dix années de soumission à la loi soviétique ont-elles modelé le caractère du Haï ? Non. À présent, il est perdu et il se cherche ailleurs. La révolution de velours nous la rendu plus nature, cest tout. Le Haï sébroue à tout va. Pas facile pour un Président tout neuf daccommoder les Haïs à la sauce démocratique. Ça débat de tous côtés, ça tiraille dans tous les sens. On finit par en venir aux coups de poing et coups de feu. Cherchez vous un avenir dans ce carnage. La multiplicité des partis, plus dune centaine, reflète bien lesprit dinsubordination qui habite les individus. On dit que chaque Haï est en lui-même une voix politique. Les attroupements sont des foules en tempête. Des idées, ils en ont, mais cest bloc de pierre contre bloc de pierre quand ils saffrontent. Ils nont pas le sens de la défaite active au nom du bien général. Comme il fallait mater tout ça, un ministre (mais peut-être était-ce le président lui-même) aurait eu lidée sadique de plonger les gens dans le noir, réellement je veux dire, coupure délectricité, coupure deau, etc. Plus on oblige le citoyen à soccuper de son corps, mieux on dévie son esprit des affaires publiques. Lastuce des orchestrateurs communistes, cétait du même tabac. Les gens, au sortir du travail, devaient courir les magasins et se mettre en chasse pour trouver de quoi se nourrir. Cétait file dattente sur file dattente. On ajoutait un épuisement à un autre épuisement. Ainsi on y gagnait en stabilité générale. Qui cherche à enrayer la pauvreté des Haïs ? Réponds, lecteur ! Ton obole ny peut rien. À lheure du tremblement de terre, largent extérieur coulait à flot. Depuis, ça rentre encore avec ton visa et tes devises. Les pauvres ne sortent toujours pas la tête de leau. Qui cherche à donner du travail aux Haïs ? Réponds, lecteur ! On ne sait pas quil sagit là dune dictature par léconomique. Les péculateurs du régime ont les coudées franches pour engeigner leur monde et senrichir, on laisse à la corruption le soin de pourrir la démocratie, on crée ainsi une classe de nobles ignobles, aliénés par des mécanismes marchands frauduleux, et qui refuseront, le cas échéant, toute atteinte à leurs privilèges. Notre prince républicain sait bien que son maintien au pouvoir est de faire des petits qui lui ressemblent, assez pour détraquer les processus de protestation, pas trop pour éviter de voir sa progéniture politique renverser lÉtat. Qui cherche à enrayer la corruption ? Réponds, lecteur ! Il en va du destin historique des Haïs que les pauvres crèvent de leur pauvreté. La stabilité du monde, cest le maintien du tiers-monde.