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Le 9 novembre dernier, l'Assemblée Européenne des Citoyens (Helsinki
Citizens'Assembly ou HCA France) présidée par Monsieur Bernard
Dreano, organisait au CICP, rue Voltaire à Paris, une rencontre informelle
autour des expériences et des difficultés de dialogue arméno-turc.
Didem Ermis présenta l'expérience
d'un séminaire Yavas gamats (nom composé de deux mots turc et
arménien signifiant : doucement doucement) organisé l'an dernier
en Turquie par les partenaires de HCA Turquie et de HCA Arménie.
Arthur Sakunts, animateur d'HCA Vanadzor
en Arménie et directeur du journal Initiatives Citoyennes présenta
à son tour l'expérience d'une rencontre avec des jeunes Azéris
et expliqua en quoi le dialogue arméno-turc était important
pour la paix dans la région.
Ont pris la parole, côté turc,
Metin Umit, responsable de l'Association des Citoyens Originaires de Turquie
et côté arménien, Jean-Claude Kebabdjian, président
du Centre de Recherche sur la Diaspora Arménienne, le cinéaste
Jacques Kebadian et nous-même, en qualité de rédacteur
en chef deYevrobatsi . On pourrait souligner que la partie arménienne
était composée d'individus se comptant sur les doigts d'une
main tandis que la partie turque remplissait le reste de la salle, la réunion
n'étant pas publique.
Que dire ? Que retenir ? Sinon l'impression
d'une rencontre saine, ouverte, de quelques vétérans de la cause
arménienne avec des jeunes Turcs ou originaires de Turquie dont on
n'a pas su qui reconnaissait qu'il y avait eu génocide, qui non. Dès
lors le dialogue était quelque peu faussé, tout en restant délicat
et respectueux de l'orientation souhaitée par ce genre de rencontre,
à savoir le genre Helsinki.
Pour notre part, nous avons félicité
les uns et les autres, tant du côté arménien que du côté
turc, pour leur volonté et leur courage à vouloir affronter
au nom de la paix des tabous infranchissables. (Pour exemple, il faut savoir
que les jeunes Azéris qui avaient rencontré des Arméniens
avaient retrouvé leur portrait dans les quotidiens azerbaidjanais avec
le mot traître pour toute légende).
Par ailleurs, nous avons fait remarquer que
le dialogue était actuellement d'autant plus difficile que les jeunes
Arméniens étaient surinformés sur le génocide,
tant par les livres qu'ils avaient lus que par le traumatisme dont ils avaient
hérité, alors que pour les jeunes de Turquie, c'était
tout à fait l'inverse.
Ce qui nous a été confirmé
en aparté par des participants qui reconnaissaient avoir été
élevés par des parents qui ne leur avaient jamais parlé
de génocide et qu'ils n'éprouvaient aucun sentiment de culpabilité.
Mais aussi par cette anecdote : des jeunes Turcs qui s'étant trouvés
mêlés aux manifestations de Lyon s'insurgeaient contre le fait
que l'inscription sur les stèles de la mémoire stipulaient :
" À la mémoire des 1 500 000 morts victimes des Jeunes-Turcs
", confondant Jeunes-Turcs et jeunes Turcs.
Nous avons également fait remarquer
qu'au-delà de l'Europe, au-delà de la Turquie et de tout le
reste, la jeunesse turque avait un devoir de conscience personnelle à
assumer, celui de s'interroger et de s'informer, et que le dialogue entre
les sociétés civiles de la Turquie, de l'Arménie ou la
diaspora arménienne de France ne pouvait s'établir et progresser
qu'à ce prix.
Conscient qu'au cours de leur processus éducatif
les jeunes de Turquie n'avaient pas eu la possibilité de prendre connaissance
de leur propre histoire, nous avons voulu faire comprendre que là résidait
peut-être un début de faute individuelle. Sachant que nul ne
pouvait faire l'économie de son histoire, et encore moins lui échapper.
Pour exemple, interrogé par une journaliste
de Milliyet en présence d'une traductrice d'origine turque vivant en
France, nous avons remarqué que ni l'une ni l'autre n'avaient lu quoi
que ce soit sur le génocide, sous prétexte que ce genre de lecture
était interdit en Turquie.
Et pourtant des ouvrages comme ceux Dadrian,
Ternon ou même récemment celui de J.V. Gureghian (Le Golgotha
de l'Arménie mineure, en turc : BABAMIN YAZGISI ) étaient bel
et bien présents en Turquie, publiés par les soins de Ragib
Zarakoglu.
Et pourtant, qui peut interdire en France à des jeunes originaires
de Turquie la possibilité d'aller vers les livres écrits sur
le génocide, qu'ils soient écrits par des historiens d'origine
arménienne, français ou autres ?
Dès lors, à l'issue de pareille
réunion, nous pouvons dire que les gens en présence ont apporté
une pierre dans l'édifice d'un dialogue qui s'ébauche à
peine mais qui semble prendre pied sur les bases saines d'une confiance mutuelle.
S'il y a malaise, il vient du déséquilibre
profond entre cette surinformation traumatique qui habite les Arméniens
de tous âges et l'aveuglement, pour ne pas dire le sommeil dans lesquels
se complaisent les jeunes Turcs que nous avons rencontrés, sans pour
autant vouloir faire de ce constat une généralité.
Nul doute qu'il existe un malentendu. Et
s'il y a malentendu, il y a malentendants, lesquels ne sont pas forcément
ceux qu'on croit ou qu'on accuse de tous les maux.
Les Arméniens, eux qui ont tant attendu
et qui ont tant crié, qui aujourd'hui récoltent les fruits de
leur patience et de leurs cris, ne devraient-ils pas entendre ce vide, cette
ignorance volontaire ou pas, qui se trouvent en face d'eux ? Je ne parle ici
ni de l'État turc, ni de ses sbires, mais des gens, des jeunes à
qui il faut dire les choses, les dire bien, avec justesse et sérénité,
même avec respect. Car les coups de boutoir, dans ce genre de rencontre,
ne servent à rien.
On est donc en droit de se demander pourquoi
les Arméniens de bonne volonté ne seraient-ils pas présents
à ces rencontres avec des Turcs de bonne volonté, comme le font
Didem Ermis et Arthur Sakunts, le HCA Turquie et le HCA de Vanadzor.
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Novembre 2006