Publié le : 08-07-2006
Question pressante : ont-ils planifié d'en
construire ?
Le promeneur solitaire a beau se plonger dans la merveille capitale, arrive
le moment où lui prend l'envie de pisser. Après la déambulation
nonchalante, le corps qui quête de la pointe de l'œil désespère
la vessie pleine à souhait de trouver matière à soulagement.
Or, c'est dans les cas d'extrême et grave urgence que le cerveau traduit
son angoisse en interrogations philosophiques. On se dit quoi, les Arméniens
boivent. Or, les Arméniens sont des hommes. Donc les Arméniens
pissent. À moins d'être asexués… Au temps des soviets,
les lieux d'aisance existaient là où se dressent aujourd'hui
des débits de boissons. C'est qu'ici, on pense au bizeness, pas aux
conséquences. Je me souviens de toilettes publiques, un hiver, où
des marches couvertes d'une glace jaunie de vieilles urines vous conduisaient
dans une fosse à vous geler le pipi au sortir du bistounet. Une autre
fois, c'était une vieille bâtisse, sombre comme un cul de caverne,
où s'entendaient dès l'entrée, venus de toilettes sans
porte, des gémissements d'accroupis pathétiques poussant sur
leurs intestins. Même si l'homme pressé franchissait rarement
le seuil de cet enfer dantesque pour avoir la chance d'atteindre son paradis
viscéral, pour le moins, ces lieux d'aisance avaient le mérite
d'exister. Aujourd'hui la ville les cache. Tourne ta tête dans tous
les sens, touriste, aucun logo à l'horizon de ton désir urinaire.
Le maire de la ville qui a probablement sous le prépuce un local aménagé
à l'usage de ses besoins, et qui a non moins probablement le culte
des mannes étrangères, n'ignore pas qu'un touriste insatisfait
est un touriste perdu. Oui, si Erevan veut que le monde vienne y rêver
longuement, que le maire y aménage des vespasiennes, sanisettes, tasses,
baies, édicules, pistières, ou ginettes. Payantes ou pas, qu'importe…
Pourvu qu'on ait l'ivresse !
Erevan for rêveurs/Erevan for ever