Publié le : 07-07-2006
On ne veut pas savoir de Marilyn Monroe qu'elle pouvait
déféquer comme tout un chacun.
L'Arménie est un mot. Un mot dit sonnant comme harmonie.
Tout y est calme, luxe et volupté… Mais si des gens le vivent,
des gens le rêvent et des gens le savent, les uns l'utilisent, d'autres
le fuient, certains le haïssent. Et pour le reste du monde, le mot Arménie
ne signifie rien, ni un lieu sur la terre, à peine un mot figurant
au lexique des noms propres. Pour un Inuit, Arménie a autant de consistance
que Nunavut pour un Arménien. Que l'Arménie soit de pierre et
le Nunavut soit de glace, l'hostilité naturelle que les Arméniens
et les Inuits ont à affronter ne les pousse pas pour autant à
se connaître. Et cependant, le mot Arménie est aussi dur que
la pierre comme le mot Nunavut rappelle le froid et le blanc de la glace.
Mais pour un Arménien la pierre est douce autant que l'air polaire
peut être vivifiant pour un Inuit. C'est que le lieu naturel des hommes
a une âme. Si le mot Arménie possède une âme, c'est
que l'âme des Arméniens est l'Arménie. Car éternelle
est la terre qui exprime son renouvellement permanent aux yeux de l'homme
prisonnier de son propre déclin. Mais, me direz-vous, toute matière
est en proie au vieillissement et à la mort ! Je vous entends, je vous
entends fort bien là-dessus … Mais la terre vieillissant sur
une durée plus longue que celle de l'homme, l'homme la voit comme éternelle.
C'est tout. La puissance mythique de l'Arménie est cet absolu du sol
dont l'homme arménien a besoin pour vivre. Alors, qu'on ne vienne pas
lui casser la baraque, à l'Arménien ! Ni à l'Inuit, d'ailleurs.
Pour l'un comme pour l'autre, ni la pierre ne s'effrite, ni la glace ne peut
fondre. Même si la supériorité de la pierre sur la glace
est évidente quant à sa résistance aux changements climatiques.
Le propre du mythe est qu'il est immarcescible. On ne veut pas savoir de Marilyn
Monroe qu'elle pouvait déféquer comme tout un chacun. Elle était
à ce point une conception des hommes, à ce point immaculée
qu'elle n'était pas loin d'être un ange, net de tous ces orifices
d'entrée et de sortie qui servent au maintien du corps et qui précisément
l'avilissent. Et si l'Arménie est un mot vivant, c'est bien qu'il fabrique
du rêve et produit de la merde.
Erevan for rêveurs/Erevan for ever