Publié le : 01-07-2006
Je marche sur l'avenue Abovian, et par moment, me traverse l'impression que
mes pas épousent le sol, que mes chaussures embrassent la pierre du
trottoir au lieu que je sois avec la levée du pied dans l'inadéquation
permanente. Par moment, je passe à l'intérieur des signes comme
s'ils étaient l'effet d'une signature personnelle, comme si m'y noyer,
c'était en quelque sorte y être né. Certes, quand je parle
au bouquiniste de cette même rue Abovian, installé près
du Café de Paris, il me reconnaît comme un autre, comme un qui
n'est pas dans la même galère que lui. Et bien sûr, par
mes demandes, je me définis comme celui qui est toujours en instance
de quitter ces lieux pour d'autres plus conformes à son esprit. Mais
il m'arrive, avant même que mon accent ne me trahisse, qu'un autochtone
me parle comme à un autochtone. C'est alors que je me perçois
dans un autre monde que celui où j'ai mes habitudes, mes itinéraires
obligés, mes paysages. Je me sens alors passer dans la ville tellement
les bâtiments et les monuments que je côtoyai trente ans auparavant,
aussi inchangés que des mythes inamovibles, sont eux-mêmes dans
ma mémoire comme s'ils y avaient semé ces instants que je vis
aujourd'hui. Non qu'il me plaise à les retrouver comme constituant
le cadre ancien d'une période de mon existence, mais plutôt en
ce qu'ils sont des éléments permanents de ma personne. Ici,
je ne suis ni seulement ni tout entier en voyage, je suis dans la respiration
des choses. Aspiré par elles avant d'être expulsé, je
déambule en proie à un impossible remue-ménage mental
dû au va-et-vient de ces vagues qui me prennent et me rejettent, qui
me prennent et me rejettent.
Erevan for rêveurs/Erevan for ever