Á le voir on dirait un catcheur. Mais non. C'est un artiste. Il vous mange la main avec la sienne. Dans sa bataille pour l'art, il a perdu ses dents, ses cheveux et son corps d'athlète… Quelques marches, un balcon à ciel ouvert, sa femme debout devant sa cuisine, une maigre et pâle, habitée par l'effacement. Dès le premier mur, on y est. Un cimetière mural. Le gars serait-il du genre collectionneur fanatique ? Plutôt faiseur de crucifix. Croix de bois parées de pierres, pacotilles, paillettes et tutti quanti… Sur les murs du salon, puis de la chambre, les croix dessinent des chemins de croix. On se croirait à Saint-Sulpice, dans une boutique de bondieuseries. On espère qu'il a au moins épargné la cuisine. On n'ose pas aller aux toilettes. Son balcon est son atelier, deux établis sous des couvertures. " Il y a des croix qui m'ont causé des tachycardies. Fallait que j'arrête ou que j'appelle mes copains au secours. Des Suédois m'ont dit venez travailler chez nous, tous frais payés, à condition de leur laisser mes croix. Je n'ai pas pu. D'ailleurs, j'ai dû mal à me séparer de mes croix. Les gens voudraient que je les leur offre. J'ai des fanatiques. Je veux juste un atelier, ici, en Arménie, avec mes appartements au-dessus. Pas un atelier éloigné de chez moi. Comme ça, quand j'ai mon idée, je la mets aussitôt à exécution. Mais là, j'approche l'asphyxie. Le peu que je vends va aux dépenses du foyer. Ma femme ne travaille pas. Et je ne veux pas partir. Ce pays n'est pas un pays. Mais je suis d'ici, et mes croix ne sortiront pas d'ici. " Si l'homme est un crucifié de l'art, sa femme est une pieta. On lui dit, histoire de la comprendre, que c'est dur, n'est-ce pas, d'être femme d'artiste. " Non ! "
Erevan for rêveurs/Erevan for ever