Quels rapports, me direz-vous, entre le léopard des neiges et la Turquie ? Ce n'est pas que l'animal puisse se trouver dans un Turkmenistan turcophone, ni qu'il s'agisse d'un prédateur. D'ailleurs, le léopard des neiges est un prédateur en proie à sa propre disparition. Les hommes l'ont tant chassé pour son magnifique pelage que le voici au bord de l'extinction. Voilà ce qui constitue une grande différence, n'est-ce pas, entre l'animal et l'homme. L'homme prédateur ne fait pas de quartier là où il s'implante jusqu'à ce que l'autre ayant disparu, il jouisse de sa propre image multipliée à des millions d'exemplaires et se trouve enfin lui-même face à lui-même. Non, rien de tout cela. Mais les prédateurs humains et les prédateurs animaux partagent les mêmes ruses. La première étant de se fondre dans le paysage, de pratiquer le mimétisme, qu'ils soit physique ou idéologique. Notre panthera uncia a le mimétisme dans la peau. Ni vu ni connu, je t'embrouille. Le léopard des neiges porte ad libitum sa tenue léopard avec du poil beige pour déambuler sur fond de rocher, et du blanc pour traverser les névés.

La ruse des États prédateurs consiste à répéter ce que leur environnement international veut entendre. La meilleure des tenues de camouflage idéologique que puisse adopter un pays impérialiste est de s'habiller démocrate, de multiplier le mot liberté dans ses discours, d'invoquer les droits de l'homme avant de tuer des innocents et de pousser au casse-pipe ses propres soldats shootés au film hollywoodien, rien que pour défendre des intérêts marchands.

La dernière ruse de l'État turc qui joue les prolongations génocidaires en niant le Crime de 1915 a été de s'associer à la première Journée internationale de l'Holocauste par un communiqué émanant de son ministère des Affaires étrangères. Les accents déchirants dont on a saupoudré le texte en disent long sur le cynisme de ce candidat à la candeur cherchant à n'abuser que les candides.

" En ce jour significatif, nous commémorons avec respect les décès de toutes les personnes qui sont mortes durant l'Holocauste de la seconde guerre mondiale. Nous espérons que toute l'humanité apprendra les leçons nécessaires de cette période horrible et sans lumière dans l'histoire, de sorte que des événements semblables ne se répètent pas ".

Voilà qui peut laisser pantoise même notre panthère des neiges devant cette bionique droitdel'hommiste qui consiste à se draper de profession de foi européenne pour dérober aux yeux des hommes son fonds de commerce négationniste.

Par ce communiqué, l'État turc montre qu'il n'a pas compris que toute déclaration solennelle dans le cadre de l'Holocauste implique que le déclarant soit en accord avec une mémoire collective exempte de toute inhumanité criminelle, hier comme aujourd'hui. Or, la masse de livres accusant la Turquie de mass murder ne permet pas d'affirmer qu'elle n'ait pas connu dans son histoire une " période horrible et sans lumière ", loin de là.

1915 fut un temps de non-droit absolu comme jamais n'en avait alors connu l'histoire des hommes.

De fait, ce communiqué n'est qu'un geste de haute politique. L'État turc veut ainsi montrer à son peuple, qui assimile bêtement génocide et Holocauste, que rien de pareil ne s'est produit avec les Arméniens. Il croit par ailleurs procéder à un blanchiment de son histoire en traficotant avec des valeurs européennes dont il connaît la lettre sans en posséder l'esprit. Il prétend rejoindre le camp des nations animées par la compassion en proposant des mots qui ne relèvent que du cynisme. Enfin, s'il peut tromper l'État d'Israël par un communiqué diplomatique, il ne peut abuser ces juifs qui ont une conscience universelle de l'histoire.