1 - le 17 décembre 2007
Durant sa campagne présidentielle,
Nicolas Sarkozy avait juré que son mandat aurait les droits de l'homme
pour fil conducteur. Mais plus on pénètre dans les coulisses
de cette déclaration d'intention, plus on constate qu'aujourd'hui,
devenu président, Monsieur Sarkozy s'empêtre dans les hypocrisies
d'une vision politique de deux poids deux mesures. En effet, si les droits
de l'homme constituent un principe moral, ce principe ne saurait souffrir
de ne pas être absolu dans l'esprit et la conduite de celui qui souhaite
l'incarner. Dès lors, rien ne devrait prévaloir contre ce
principe. Aucune raison d'aucune sorte ne justifierait que ce principe soit
divisible, à savoir qu'il puisse s'appliquer aux uns et pas aux autres.
Que penserait Ingrid Betancourt, que Nicolas
Sarkozy prend à cœur de défendre à juste titre,
si elle apprenait qu'en même temps, et dans les arrière-cours
d'une politique d'une politique rappelant, mutatis mutandis, le nettoyage
ethnique, les services du président renvoyaient le Kurde Ferzende
Tastan dans les geôles turques pour y être à coup sûr
torturé ? Tandis qu'elle se démène pour libérer
Ingrid Betancourt des mains des FARC et pour la voir auprès des siens
avant Noël, la France voudrait qu'avant Noël le dissident kurde
Ferzende Tastan soit arraché à sa famille pour être
expédié en cadeau au gouvernement turc. Est-ce à dire
qu'un Kurde ne peut jouir des droits de l'homme ? Est-ce à dire qu'un
Kurde n'est pas un homme à part entière, un homme absolument
? C'est qu'au regard des échanges diplomatiques, le Kurde Ferzende
Tastan n'est qu'un citoyen turc. Peu importe, qu'aux yeux du gouvernement
turc, il s'agisse d'un citoyen turc dévoyé. D'un mauvais Turc.
En d'autres termes d'un terroriste, tout juste digne de la prison avec une
pincée de Midnight Express en plus. Un Turc qui ne veut pas se reconnaître
pleinement comme turc. Et pourquoi le reconnaîtrait-il puisque toutes
les fibres de son âme proclament qu'il se sait kurde et se sent kurde
? Est-ce sa faute à Ferzende Tastan d'être né Kurde
dans une Turquie qui voudrait turciser les Kurdes comme c'est pas possible
et au même titre qu'il a turcisé le ciel en frappant son drapeau
d'une lune et d'une étoile ? Et tandis que sur des sites officiels
et Internet, ainsi qu'à la télévision turque on annonce
que " la France fait un geste envers la Turquie en lui livrant un des
chefs du PKK " , cette France forte de son évangile des droits
de l'homme selon saint Nicolas Sarkozy s'apprête à fêter
Noël. Doux Jésus !
Il faut sauver le Kurde Ferzende Tastan.
*
2 - le 18 décembre 2007
Malheur à l'homme s'il s'habitue
au mal qu'on fait subir à l'homme ! Malheur à moi si je n'ai
plus d'indignation devant le mal qu'on fait subir à l'homme ! Malheur
si je n'ai plus de compassion quand mes yeux voient, quand mes yeux lisent
ce mal-là ! Car je ne suis plus un homme, rien qu'un corps préoccupé
de se nourrir et d'expulser ses déchets. Rien d'autre. C'est ainsi
que la France veut que soient les Français, préoccupés
de se nourrir et d'expulser leurs déchets. Que demande le peuple
? Cela est d'autant plus vrai qu'aujourd'hui toute compassion est une forme
de dissidence. Si les pays riches fabriquent des pauvres, si les pays développés
produisent des immigrants, si les pays démocratiques attirent les
réprimés du monde, il faut savoir aussi qu'ils rejettent leurs
pauvres, expulsent les immigrants, répriment les réprimés…
comme des déchets. Qui peut défendre les pauvres, les immigrants,
les réprimés contre les lois sacrées de la République
sinon ceux-là mêmes qui ne les respectent pas et qui les jugent
inhumaines ? Être dissident dans de tels pays, c'est la meilleure
façon de l'aimer et de le construire.
Voici un jeune homme, Sedat, et son père Ferzende, hommes de Turquie, qui refusent d'être embarqués dans les avions de Monsieur Brice Hortefeux, ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement, homme de Neuilly, tous nés là où le destin les a placés, qui dans un nid d'amour, qui dans un noeud de haines. Les dissidents contre la haine ont soif d'amour. Quoi de plus normal ? On peut se battre un temps contre les harcèlements d'un État policier, mais pas tout le temps. Tout dissident d'un État policier rêve d'être le citoyen d'un État policé. Plutôt Neuilly que la Turquie. Quoi de plus normal ? Quoi de plus humain ? Certes, la France n'est pas un pays parfait, mais il rêve de s'humaniser. Les hommes vont du moins humain vers le plus humain. Quoi de plus naturel ? C'est ce qui explique que Sedat et Ferzende Tastan soient en France et que Monsieur Brice Hortefeux, ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement n'ait jamais eu l'idée de s'installer en Turquie. Patrie des droits de l'homme, la France attire tous les hommes qui ne sont pas aimés par leur patrie d'origine. Mais la France n'est pas un pays parfait. Si elle rêve de s'humaniser, elle rêve de s'humaniser français. Et que ceux qui rêvent d'une France humaine aillent se faire voir ailleurs, là où règne l'inhumanité de la condition humaine. Embarquez-moi ça et tout de suite ! L'homme ne veut pas. Il ne veut pas tomber dans le trou à tortures. Quoi de plus normal ? On tente alors de le droguer, on le déshumanise pour mieux l'expédier dans son pays comme une lettre à la poste. Ainsi le pays des droits de l'homme, qui rêve de s'humaniser, déshumanise les hommes qui rêvaient de patrie pour échapper au nœud de haines de leur patrie d'origine. La patrie des droits de l'homme le frappe. Tiens ! Et tiens encore, puisque tu ne veux pas t'embarquer ! On le frappe. Le rêve tourne au cauchemar. " La France sera du côté des opprimés du monde " , aurait dit un président fraîchement élu. Non, Monsieur Sarkozy, la France réprime les opprimés du monde et ce n'est pas notre France.
Il faut sauver le Kurde Ferzende Tastan.
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3 - le 19 décembre 2007
Non, je ne veux pas. Je ne veux pas que
le Kurde Ferzende Tastan me rappelle ces Juifs qu'on embarquait dans des
trains vers les camps de la mort. Je me dis qu'il ne faut pas exagérer,
ce n'est pas pareil. Quel camp, quelle mort attendent le Kurde Ferzende
Tastan ? Même si dans les deux cas, on a affaire à une police
aux ordres, à des vérifications d'identité, à
un embarquement forcé vers une destination qui n'a rien à
voir avec un club de vacances. Je ne veux pas croire que la France n'ait
pas changé. Je ne veux même pas songer qu'on puisse dire aujourd'hui
comme on l'a dit hier : la loi, c'est la loi. Bon, la loi, c'est la loi,
mais tout de même… Je ne réfléchis pas, réplique
le policier. J'exécute les ordres. Le policier est une machine exécutante.
Il lui faut vivre. S'il devait remettre en cause les sales besognes qu'on
lui demande d'exécuter, où irait-on ? Il est vrai qu'il n'a
pas choisi le meilleur métier pour vous mettre en paix avec votre
conscience. Mais on n'exige pas du policier des reconduites à la
frontière qu'il ait une conscience. On veut seulement qu'il ait du
muscle. Les petits de taille aux mains blanches n'ont pas d'avenir dans
cette profession. Empoigner un Kurde qui se débat ne leur serait
pas facile. De toute manière, Ferzende Tastan est arrivé à
bout de ses policiers qui voulaient l'embarquer. C'est dire qu'il éprouvait
plus d'enragement à rester que les policiers d'enragement à
le jeter dans l'avion. Ce qui prouve aussi qu'on n'est plus en 40. Oui,
mais un homme est un homme. Des milliers hier, un seul aujourd'hui. Un homme
qu'on attend de pied ferme sur le tarmac d'un pays dont il connaît
les prisons. Il sait ce qu'on fait des hommes à la faveur de l'obscurité.
Il le sait, et il ne veut pas y retourner. Il a beau cracher ses poumons,
les policiers français ne veulent rien savoir. Ils n'ont pas le temps
de se mettre à sa place, pas le temps d'être lui. Ça
compliquerait l'exécution. Et c'est pas bon pour l'avancement. Dix-huit
mois de prison ne suffisent pas à Ferzende Tastan pour jouir du statut
de réfugié politique. Les États ne font pas dans la
compassion. Plutôt dans le soupçon devant un cas pareil. La
soupçonnite aiguë des services d'immigration n'a pas retenu
les dix-huit mois passés dans les prisons turques par Ferzende Tastan
pour en faire un réfugié politique. C'est que la France est
en train d'inventer avec la Turquie une nouvelle catégorie de migrant,
indésirable partout, fugitif tout le temps, le refusé politique.
Il faut sauver le Kurde Ferzende Tastan.
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4 - le 20 décembre 2007
Des fenêtres de la prison de Perrache,
certains détenus peuvent voir venir et partir les trains. Ils entendent
une voix féminine donner dans un haut-parleur les villes de destination
des TGV en partance : Valence… Marseille… Nice… Vintimille…
Ou Paris, Lausanne, Toulouse… Je ne sais si les détenus qui
voient et entendent cela en font un privilège au regard de ceux dont
les cellules, pour être situées dans les étages inférieurs,
n'ont que le mur d'enceinte pour tout panorama. Je ne sais si en prison,
mieux vaut que sa fenêtre s'ouvre sur un mur plutôt que sur
l'activité des hommes dits " libres " et sur le ciel qu'on
dit " infini " . Étudiant à Lyon, quand j'attendais
mon train, il m'arrivait de me demander comment les prisonniers prenaient
la chose, pensant qu'il n'y avait rien de plus atroce que cet oxymore urbain
que constitue la juxtaposition d'une gare et d'une prison.
Ferzende Tastan s'interroge. Qu'adviendra-t-il
de lui demain ? Si le verdict est de le reconduire là d'où
il vient, c'est à coup sûr la vie des siens qui bascule dans
l'abîme. Qu'adviendra-t-il d'eux demain ? Une femme et cinq enfants,
dont Sedat (20 ans) qui a refusé d'être embarqué pour
une Turquie des non-droits de l'homme. C'est que, aux yeux de la France,
Ferzende Tastan n'aurait pas fait assez de prison dans cette Turquie-là
pour être reconnu comme réfugié politique à part
entière. La France exige qu'il en fasse plus que ces malheureux dix-huit
mois dont il ne peut exhiber les souffrances. Comme elle a longtemps nié
les amiantés, la France nie les réfugiés politiques.
Il est vrai qu'elle n'a aucune responsabilité dans le fait que Ferzende
Tastan ait dû subir dix-huit mois de prison en Turquie. Mais elle
en aura s'il devait être enfermé trente ans. Elle retomberait
au même niveau que cette Turquie des non-droits de l'homme dont la
clé ne trouve toujours pas de serrure aux portes de l'Europe qui
soit adaptée à son corps boursouflé d'orgueil nationaliste.
Il est regrettable que la France ne soit pas une terre d'asile et qu'il
faille à un homme comme Ferzende Tastan en passer par le chas d'aiguille
d'un OFPRA made in Brice Hortefeux. Il est regrettable qu'aujourd'hui ces
migrants politiques, ballottés de pays d'orgueil fort en pays d'accueil
faux, habités du même idéal que nos résistants
qui n'étaient pas des Français par leurs origines, soient
destinés à devenir d'éternels errants du désespoir.
Il faut sauver le Kurde Ferzende Tastan.
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5 - le 21 décembre 2007
Ce n'est pas aujourd'hui le lieu de savoir
si Ferzende Tastan fut ou non un terroriste. Je me méfie de ce genre
d'anathème jeté par ceux qui ont intérêt à
ce que Ferzende Tastan soit reconnu comme tel. Mais c'est en cette "
qualité " qu'il serait accueilli par la Turquie si la France
le lâchait. On ne me fera pas confondre un terroriste et un rebelle.
Ferzende Tastan n'a que sa vie à donner pour sauver celle des siens.
Devant l'acharnement des forces de police pour embarquer son fils Sedat,
Ferzende Tastan aura tenté de s'immoler en s'aspergeant d'essence
devant la prison pour étrangers (CRA). Je n'appelle pas ça
du terrorisme publicitaire qui fait parler d'une cause en répandant
le sang des innocents. Et je n'ai pas le cœur à approuver le
terroriste qui s'en prend aux civils, quel qu'il soit, kurde ou autre. Ni
celui qu'on élève au rang de martyr pour avoir donné
sa vie en prenant celle des autres à seule fin d'instaurer une idéologie
d'austérité et de terreur. Il n'y a aucune excuse à
tuer l'autre au prétexte que c'est le seul moyen de changer de régime.
Mais que faire quand on est opprimé ? Que faire quand toutes vos
demandes justifiées de justice sont dévoyées, détournées,
pour ne pas dire rejetées ? La rébellion est le désespoir
des opprimés. Être opprimé suppose un État oppresseur.
Un État a d'autant plus intérêt à pratiquer la
terreur qu'il oblige les individus à rentrer dans le rang et à
lui obéir au doigt et à l'oeil. Seulement on ne dit pas d'un
État qu'il est terroriste car il utilise la terreur souvent à
des fins qu'il qualifie d'intérêts supérieurs de la
nation. Les États aiment la nation plutôt que l'homme. Il serait
mal venu de dire à la Chine qu'elle est terroriste, seuls le seraient
les Tibétains. Ni à la Russie qu'elle est terroriste, seuls
le seraient les Tchétchènes. L'État terroriste qualifie
de terroriste celui qui ne cautionne pas sa politique de terreur. Car la
dépersonnalisation par l'humiliation est le berceau des rébellions.
L'homme que la Turquie attend est un homme qui dérange ses macabres
arrangements avec la sémantique. L'histoire des minorités
dans leurs rapports avec la Turquie en dit long sur ces manipulations du
langage. Les Kurdes en ont aussi fait les frais. Et on ne se demande pas
pourquoi un pays qui a éliminé certaines catégories
de ses citoyens par l'épuration ethnique n'a pas choisi la même
méthode pour se débarrasser de ses Kurdes. On a cru un temps
qu'on les assimilerait, jusqu'au jour où l'on s'est rendu compte
qu'il était trop tard. Faute d'un génocide éclair par
l'épée et par le sang, on a tenté sur eux un génocide
par le temps. Mais on n'a pas réussi. L'esprit prédateur n'a
pu ingurgiter sa proie. Elle lui est restée en travers de la gorge.
Impossible de l'en déloger. Tant bien que mal, il ingurgite ce qu'il
peut, par petit bout, pour faire passer le reste. Ainsi en est-il de ce
Ferzende Tastan qu'on veut enfouir dans l'obscurité des geôles
turques pour dissuader les rebelles kurdes de faire corps contre un État
qui n'aime ni les rebelles, ni les Kurdes. Mais nous ne lâcherons
pas Ferzende Tastan. Si la France devait le lâcher, nous, nous ne
lâcherions plus la France pour lui seriner qu'aucun État n'a
droit de vie ou de mort sur aucun homme.
Il faut sauver le Kurde Ferzende Tastan