(Pour la construction graphique des textes ci-dessous, vous avez la possibilité de télécharger la page au format Doc : Word, disponible dans la page de téléchargements )

 

Saint Denis en Réunion
(voyage langagier) juillet 1996





8 Juillet Saint-Denis de la Réunion


petit marché de l'île

poule fermement saisie aux ailes maintenue sous le talon et cacaye cacaye si fort qu'elle aura la tête coupée au couteau le cou crachant au sol tout son sang

temple tamoul tout coloré de gestes sacrés on n'y entre que pieds nus

alignement de palmiers à boules très serrées de guingois au centre de la rue

océan énervé noir râcle jusqu'à la vase les fonds littoraux en les recrachant sur les galets

piments grosses papayes comme des suppositoires géants

vagabond noir à barbichette blanche dort couché sur un étal s'offrant comme un légume

odeur de merde poulardière au fond du marché

quartier de porc thon rouge tranché net

stock américain couleur de guerre verdâtre

belle fille indienne en sari gracieuse inimitable

Le dehors d'un texte se voit, le dedans s'écoute. Se remplir du dedans, de son noyau actif, de ce qui échappe à toute pesanteur verbale.

9 Juillet Saint-Denis de la Réunion


après avoir petit marché tout coloré de gestes
s'énerva l'océan noir
suppositoire géant de l'île temple couleur de guerre verdâtre
il cacayait cacayait si fort en crachant
que tout à coup vagabond à barbichette blanche il vit venir à lui une femme indienne tout en sari et grâce
pieds nus sur les galets
c'est combien ? demanda-t-elle
son odeur de merde poulardière rendit l'autre aussi rouge qu'une tranche de thon
28 francs, répondit le vagabond noir qui s'offrait comme un légume à coucher sur un étal
grosse papaye ou piment ?
la poule râcla la vase de ses fonds littoraux et son stock sacré de coups américains
mais alors
après l'alignement de palmiers à boules très serrées
saisie par l'autre fermement aux ailes et maintenue sous le talon
elle eut la tête coupée au couteau tranchée net comme un quartier de porc
et le cou de guingois cracha au sol son sang tamoul inimitable

 

Introduire au coeur des nécessités géométriques d'un texte (rythme, sémantique, raisonnement) des passages d'affolement métaphorique comme des réalités potentiellement présentes.

10 Juillet La Saline les Bains (le grand trou )


jetant ses griffes sur le mur de coraux l'OCEAN GONFLE son arc de colère

la marmaille y se baigne dans la tite mer en riant
un mâle caf' y serre contre lui son doudou aux zolis tétés
sous les cocotiers moin n'arrête pas de loucater les choses
la mort au ventre


Que les mots aillent vers ce qui les appelle, qu'ils entrent en vibration selon ce qu'ils regardent et selon leur manière de regarder, comme une.

 


11 Juillet Saint-Denis de la Réunion


couzouck : la femme couzouck est tellement laide qu'elle semble avoir un visage cousu deux fois, à l'endroit et à l'envers.

requin-chagrin : il fait danse-ronde de mer en mer en quête de nourriture car c'est un grand goudal, un goulapiat, un goulaf.

larquinpette : on met son larquinpette le dimanche et on est en langouti le reste de la semaine.

rêv'ment : c'est rêver avec du vrai factice, un vrai proche d'une mensongerie.

sentir l'ail : quand la fille devient pubère son âme commence à râler, elle se met à sentir l'ail, tandis qu'hier encore elle sentait le lait.

l'estomac y batt' cartes : quand il a faim, il consomme du vent, sans même avoir commencé le jeu.

le fait-clair : le jour sur l'île brusquement là, à peine si le fait-noir a le temps de s'éclipser.

larguer la peau : pour se donner pleinement, la femme quitte ses vêtements et quitterait même sa peau pour offrir à nu ses instincts.

la mer y baise : ou la mer y coque, quand elle est mauvaise et qu'elle se dresse sur ses ergots.


Dans le fond, ces mots que donnent-ils et à qui ?

12 Juillet La Saline les Bains (le grand trou )

gros bèf y charge gronde moussu y dégraffe la peau avec ses griffes



SOLEIL Y POIQUE


la marmaille y plonge pour nager dans les poissons
ein zolie mémère sur le sable se crème la cuisse avec mon main
ein zézère y fait d'mour mais son nénère lit journal et fait z'oreilles cochon
moin goni vide y guette l'océan larguer son zourite vers nous

Quand le formulé devient voix de l'informulé.

13 Juillet Saint-Denis de la Réunion


ravenala : arbre au front de chapelle il est celui
qui décale ses bras une fois pour toutes
en jeu de cartes profilées faisant la roue
où le vent laisse tressaillir un esprit indicible
torche oscillatoire verte
en posture d'évasement bouddhique

figuier indien : parade et se montre important
comme un peuple de phrases en quête de sens ou de formule
camion replet monté d'un pâturage vert
il nourrit de son ombre l'espace moite
et ne permet en lui ni guerre ni infiltration

fanjan : demoiselle raidemplumée
corsetée de pied en cap et
droite pour mieux faire voir son éminence en feu d'artifice
elle est trouvaille de flambée et de velours
épanouissant à partir du sommet
son jet de fontaine grandiloquente
aux retombées de jupe amoureuse


Les mots cherchent le lieu où ils seront accomplis, là où le bas et le haut de ce qu'ils disent seront liés ; ils cherchent à donner ce bas et ce haut pour qu'ils soient entendus.

14 Juillet La Saline les Bains (le grand trou )


grondement de fond conquérant dur et dur saisit dans les sables l'hôte assis à distance

somptueuse lumière et féminine où la baigneuse amoureusement se beurre la jambe

les callosités du corail avivent tambour battant la vague murale

si puissamment que ses lingeries se déchirent

que dans l'enclos aux eaux liquoreuses passent parfois de têtues migrations

sur la ligne des chasses crépitent les mouvements irrités empêchés de venir

et l'infini derrière masse animée ténébreuse quoi engendre quoi grandit

s'agite et qui voudrait offrir la leçon de sa force

à moi de lire dans le temps ceinturé


Plus je construis l'objet, plus je me/le découvre.

15 Juillet Saint-Denis de la Réunion

carambole : pluie d'étoiles se contracte dans la bouche
( averrhoa carambola ) résistent les fibres de son fût central
sa peau embrasse la peau du palais on est triste de détruire
à coups de dents anarchiques sa fine géométrie pentagonale
mais à ce prix est le mystère qui laisse un goût d'incompréhension

goyavier de Chine : son poudrier fait chair fondante
(psidium cattleyanum ) sitôt écrasé dans ma bouche
des jus légèrement vifs comme des vins de courte perspective
entré sitôt disparu en appelle un autre
sucre larvaire et ivoirin sous une écorce glissante presque gluante
une vie brève déjà passée acide aimable non funeste

papaye : vide étoilé à l'intérieur où s'accrochent des perles gris noir
( carica papaya ) chair beurrée tout autour fond en bouche avec douceur
en un laisser-aller savoureux et sacrificiel
fruit qui se donne offre sa jeunesse en toute amitié
jusqu'à commettre sa propre disparition sa dissolution en vous
l'union de sa substance avec la vôtre
son suc laiteux allume des états originels ferme des soifs
ou suscite des faits-clairs pleins de fraîche amabilité
dans sa rencontre avec votre salive
sorte de collusion de votre sang avec l'insensé des rêv'ments gustatifs


L'obscur parfois se laisse prendre et brille.

16 Juillet La Saline les Bains (le grand trou )


le vent aux allures de paume amortie par la sieste
tout à coup blanc de colère
se soulève avec arrogance
puis se perd en poudreuses génuflexions
quoi devant moi ainsi tout l'océan souffle coupé

L'objet est toujours dépensé pour qu'il laisse apparaître plus que lui-même.

17 Juillet Saint-Denis de la Réunion


hibiscus schizopetalus : coiffe de haut vol
échue d'un flot parmi les flots
d'un sang de porcelaine finement dentelée
flammèches sous le vent
ce retroussement de robe espagnole
ou de tutu
fait saillir une jambe aux multiples talons aiguilles

strelitzia reginae : s'avancent se déploient
en un tour de bras d'or angé mauve
des flammes turgescentes en forme d'aboiement
sorte de signal portant drapeau et couronne
nés dans un doigt de crosse pointé rouge vert
nef d'où explosent voiles et focs

nymphaea lotus : leur élégante rêverie est d'échapper aux dormeuses
qui sommeillent sur les eaux et tendent leur ventre au soleil
ces mains vertes et rondes qui font passerelle entre leur neige
elles dressent leurs branches
d'étoiles rosies par une pointe de désir
comme un voeu de rayonnement blanc
vers les hautes esquisses de l'aimer

 

Dans les mots quelque chose de noir et quelque chose d'étincelant.

18 Juillet La Saline les Bains (le grand trou )


l'océan bandé court sur moi
aboie d'être embarré soudain
cendrine en pluie gueule ouverte
il crie l'assassin comme ça même
chaque jour sans jamais se coucher
vomit tous ses échauffements sur moi
chaque nuit sans jamais me toucher
sur moi ensorré en pleine mensongerie

Tout à coup on est dans le "plus-que-soi".

19 Juillet Saint-Denis de la Réunion


Mafate : dans le cirque mortel les chemins tombent en précipice
et remontent en faisant mal malheur malheureux
région minée du raccourcissement qui tire à elle dans ses bras vastes
le voyageur narrateur de sa propre fatalité
vu de haut ce trou fait tournoyer le regard
il est d'une veuve qui enfouit dans sa férocité le très bel homme
jusqu'à le rendre vomissement

Belouve - Takamaka : nasse primitive où j'ai marché écrasé et exubérant
l'humide gésier originel aux chemises de nuit dégoulinantes et moussues
j'y passai en revue d'obscures fondations intimes et végétales
dédale d'orifices fascinants où l'historien quitte ses chaînes
car les choses montrées comme des vomissures de rêves
cordages barbus comme des mains géantes en quête de respiration
empruntent leurs traits à l'affolement magnifique plus qu'aux géométries

Grand Etang : j'essaye sans trop d'efforts debout sur mes années de me soulever avec le paysage vers les terrasses humides âgées longtemps le paysage spongieux pleureux visqueux un crachat au gré d'abord d'un passage ruisselant et consterné au bout duquel on attend mystérieusement moulée dans ses rondeurs bedonnantes envahie de poils exubérants sa chatte si fière d'être à l'air libre et qui accueille l'oeil crétin du marcheur avec sa fable sempiternelle sur le temps qui passe au spectacle de l'étang dans l'enclos du temps il contemple rappelle-moi ça petite lame d'acier couchée hache épuisée sur les nuages je plie malade saisi de phrases avalé par la sensation du goulet

 

Que restera-t-il de ces mots bizarrement assemblés quand seront déchirées leurs enveloppes ? Poussière ou graine ?

20 Juillet La Saline les Bains ( le grand trou )


l'océan toure l'île impose sa danse horizontale à tous
qui nous plonge vers le haut
tourbillon
qui nous souffle vers le bas

dans l'eau plate l'enfant joue à danser en attendant que dans son corps un jour les forces

le plongeant vers le haut
tourbillonnent
le soufflant vers le bas

L'oeuvre d'art a un pouvoir de présensation (sensation de la présence ).

21 Juillet Saint-Denis de la Réunion


canne à sucre : Des verts lagon chevauchent les collines. Bombements animés par champs entiers montent au plus haut vers les falaises. Denses et alourdis balancements de muscles qui font vibrer l'épiderme de l'île à l'instar de la mer autour agitée en permanence, hors d'état de se contenir. Mais douceur à perte d'horizon, partout à mesure que nous galopons dans les profondeurs couchées en perspective. L'oeil enveloppé du dynamisme hirsute et liquoreux baigne de loin dans la soie soulevée des fesses à Sainte-Marie et Sainte-Suzanne.

piment z'oiseau : Brutalement, d'une seule pincée de dents, jus arrogant court au galop sur la langue, rayant les viandes et violant à l'aveugle l'étroitesse obscure du passage. Lèvres crient. La presse tranche dans l'entraille sans laisser au temps le loisir de soupirer. L'effroi arrache à grands coups d'ailes sanglantes les étés et les calmes d'auparavant. Car voici à présent des souffrances, des respirations souffreteuses, des néants pleins d'épines, tout l'appareil des enfers, des irritations permanentes sans autre apaisement que Dieu.

vanille : La fleur sur l'arbre à l'arbre est étrangère. C'est l'hostie aux géométries magnifiques en pleine élévation. Et la matière ligneuse du tronc lui tient lieu de support vertical et de bras au croisement de l'espace et du temps. Le corps de bois et de feuilles serait destiné à cette seule fin qui est de servir d'ombrage à l'hôte et de chemin vers l'arôme céleste. Ici l'homme fait le fruit ou le gâche. Car la fleur naturellement éphémère porte en elle les organes de sa métamorphose sans en avoir la décision ni l'acte. Seul un alchimiste amoureux et persévérant pouvait être en mesure de perpétuer son ivresse d'oeuvre nouvelle. En faisant que la fleur s'accomplisse il libérait un grain en lui qui se sème.

Tendre sa corde, la tendre et la faire vibrer pour qu'elle donne un son capable de rencontrer le foyer de sa propre course.

22 Juillet La Saline les Bains ( le grand trou )


TROIS BLEUS devant moi sans pareils

se dressent mur profond

bleu lagon où s'ébat la marmaille

bleu lourd derrière l'arc des frappes des écumes

bleu lazure qui envoûte et nous couvre

D E ME SU RE ME NT


Les mots doivent libérer des forces.

23 Juillet Saint-Denis de la Réunion


Saint-Gilles : J'avançais dans le multipliant des pas familiaux. Un soir de petite faim. Quand la douteuse flamme du romantisme fut réveillée à un passage d'hirondelle. Toutes les portes longtemps laissées à l'abandon fertilisées soudain. C'était, au bras d'un jeune hommefort, une peau de fille nourrie de suc solaire, noir sur noir, chevelure et vêture dans un fourreau court aux bras et aux jambes, et qui faisait autour d'elle errer des nappes d'essence déshabillée, sans autre clameur qu'un débat en moi d'incertitudes noircissant de son corps le doute crépusculaire.

Saint-Denis : Elle ne s'arrêtait pas. Sur l'autre trottoir, ses jambes traçaient dans le temps une machinerie assouplie d'horizons. Qui marchait, sentant l'ail. Marchait dans une anatomie d'émotions détaillant de fortes subtilités en moi, une à une. C'était mon néant court ces cuisses impertinentes cavalant à grands pas, la cuine haute enrobée noir, sa chevelure pêlemêlée de rouleaux bruns, et cet air d'autoroute conquérante dans les terres autrefois marrones.

La Saline les Bains : L'humidité saline érige le corps en femme, sorte d'éminence grêle désignant les creux et l'appétit amoureux. Nous ne voyons dans le cuir noir de son maillot de bain magique qu'une conscience de l'insularité. Et rien ne change sinon le désordre et la détresse devenus comiques quand la belle traduit jusqu'à la taille l'atmosphère velours et flambée au moment où, larguant sa peau, elle laissera les ailes blanches et charnues de sa poitrine prendre leur envol parmi les palmes des cocotiers prises de vent.

Dans le non-espace et dans le non-temps, nul besoin d'écriture.

24 Juillet La Saline les Bains (le grand trou )


la mer d'arack ramdame sous mon nez
coucque la coupe ou la couloupe ?
vient à cent pas casser sa moque
son vagues l'est cognée l'est comme effarfarée
bois qui s'emmanche dans fer
son dieu goudal se gonfle à me voir ainsi fouque-fouque frédi
et cherche à me graffer dans sa gueule gouni

Les formes ne sont que la coupe et les mots une boisson.

 

25 Juillet Volcan de la Fournaise


le cassé pèse à descendre vers l'enclos où des fourmis cheminent

c'étaient des ventres de nuages frappés à la hache et pesamment dormis

des explosions assagies maintenant gardant leur ventre des bulles étonnées d'être ouvertes

des feux omnivores tombent d'aplomb sur les corps ou gîtent sous les pas

gueule de cirque ahurie par une soif où la parturiente entrée en continence et renfouie dans ses fonds vaginaux renifle des incendies indociles

nous passons à froid dans l'ancienne véhémence dans le pourri frédi des vieux déchaînements mystiques

négresse aux cheveux rouges

maîtresse aux épanchements d'entrailles
aux transports de belle apparence
qui déglutit sa cargaison de terre rousse

exhalaison à corps perdu où brillent des nouveautés noires aux débordantes ondulations


Faire que la verticalité du texte perce les strates horizontales des mots.

26 Juillet La Saline les Bains ( le grand trou )


aujourd'hui la mer basse est maloute
le brisant endormi le petit sur l'gros
la vague doch'ment bat sa doulche
comme un gramoune malahèle et mavouze
comme un qu'on a maté
ainsi que moi usé de corps et de questions
qui vangue et toujours amize trop

Si les mots ne sont pas placés justement, alors tout est brouillé et le texte mérite d'être craché au sol.

Retour aux Inédits page d'accueil

Aides et téléchargements