Par bonheur, le taxi n'aura pas osé franchir une portion de la route forestière traversée par des boues. Il me faudra me rendre à pieds sur deux kilomètres pour rejoindre Partz Litch, comprendre Lac Pur. Dès les premiers pas, je baigne dans mille viridités. Autour de moi des écoulements de lumière chutent du haut des arbres. J'entre à pas sourds dans la limpidité du lieu. Je me fraie un chemin dans les herbes avant de retrouver la route qui sinue lentement vers le bas, nue, loin des raucités mécaniques qui embrasent les villes. C'est une route en pleine nature, discrète et sobre, asphaltée de longue date et déchirée par la permanente humidité du temps. Je marche, je nage… et voilà que les arbres se coulent dans mon esprit pour occuper la place de ce lac inconnu qu'on m'a recommandé. Peu à peu, la calme suspension des branches, dans l'air doré qui vient du ciel, s'impose à moi et me fait oublier mon lac. Ni mystère, ni force, seulement un enveloppement végétal, une harmonie de tous les éléments en présence, et surtout cette vie instante et secrètement contenue dans tout, qui anime tout, la matière des feuilles, des fleurs, des herbes, des troncs, la luminosité spirituelle qui circule entre eux et les relie d'une manière que je suis à peine en mesure de soupçonner. Il me semble être arrivé au temps final des équilibres et des épanouissements. N'étaient mes vêtements, mes chaussures, mais aussi ma mémoire et la presse intime d'avoir à trouver le lac, je me sentirais primitif au sein d'une forêt intouchée. Au vrai, la forêt vit autour de moi, sans haine, sans agressivité, dans l'intimité du temps et des siècles. Ce n'est pas une forêt arménienne, ni une forêt humanisée, rien qu'un lieu du monde laissé à lui-même qui intéresse si peu les hommes qu'il s'épanouit librement selon les voies d'une structure folle d'elle-même, comme une équation de beauté prolifique.
Mes pas ont fini par rencontrer le lac, son eau était verdâtre. On construisait tout près un restaurant.