Monsieur le Président
" Chaque fois que vous humiliez, d'une façon ou
d'une autre, vous créez des réflexes d'agressivité. Le
respect de l'autre est la clé du développement et de la paix
dans le monde ". Jacques Chirac.
Monsieur le Président, je viens par
la présente vous dire ce qui me hante depuis bien trop longtemps.
Monsieur le Président, qui présidez au temps, qui nous dites
comment faut nous brosser les dents, nous laver en dedans.
Monsieur le Président, connaissez-vous
le temps, lointain je vous l'accorde, qui me tient par sa corde, auquel je
suis lié comme un homme humilié
Le temps où mes parents, Monsieur le
Président, ont dû fuir leur maison pour fuir la déraison
armée jusques aux dents qui voulait sur leur sang bâtir un autre
temps.
Des milliers d'Arméniens qu'on tua
par la faim, de désert en désert, qu'on mena dans l'enfer et
du feu et du rien
Des milliers d'Arméniens… Des
milliers d'Arméniens… Des milliers d'Arméniens…
Des milliers d'Arméniens… Des milliers d'Arméniens…
Arméniens par milliers, Monsieur le
Président, Arméniens humiliés, Monsieur le Président,
ma mémoire au présent qui délire en dedans, en dedans
de mon temps.
Ils sont toujours présents, ces milliers
d'Arméniens Monsieur le Président, tués comme des chiens
dans les déserts du Rien, présents en mon dedans, présents
comme à présent…
Plus présents que le temps qu'on donne
à tout vivant, Monsieur le Président, ces morts disséminés,
vivants assassinés, voilà ce que nous sommes, voilà comme
on se nomme.
Ce mal est notre bien, Monsieur le Président,
vous qui parlez si bien, vous l'avez oublié, vous avez humilié
nous autres Arméniens, sans dire en le disant de nous laver dedans.
De laver le présent, Monsieur le Président,
qui nous pèse en dedans, de laver notre esprit des fauteurs de mépris
et de briser nos liens pour devenir des chiens francisés affranchis.
Arméniens humiliés, Monsieur
le Président, nous montrerons les dents, nous jetterons nos cris à
tous ces beaux esprits qui voudraient oublier qu'hier c'est aujourd'hui.
Que ces morts oubliés, Monsieur le
Président, au mépris du passé, en faveur du présent,
ces morts qu'on veut nier, ces morts d'avant leur temps, ils sont dans notre
sang.
Ces morts qu'on sacrifie, Monsieur le Président,
coupables de leur sang sur quel autel du temps, voulez-vous qu'on les nie,
vous qui voyez le temps aussi loin qu'on le dit.
Vous qui noyez le temps dans le pire aujourd'hui,
c'est nous que vous noyez, Monsieur le Président, dans la pire amnésie
des morts de notre vie.
Arméniens amnésiés et
criminels bénis, vous ai-je bien compris, Monsieur le Président,
soyez-en remercié, vous qui voyez le temps et l'hier à midi.
Car les bourreaux d'hier d'avoir tué
si fiers, Monsieur le Président, voudraient que l'on oublie et vous
pareillement sans dire en le disant qui voudriez nier tant l'hier l'aujourd'hui.
Nous avons mal aux mots, Monsieur le Président,
vos mots de Président sans dire en le disant qui servent en écho
ces enfants de bourreaux si fiers de leurs parents.
Reprenez votre Loi qui veillait sur nos morts
et notre Humanité, Monsieur le Président, vous lui faites du
tort en violant cette foi qui croit que tout présent ne doit rien oublier.
Nous n'avons pas de haine, Monsieur le Président,
sinon pour le mépris qui frappe et qui maudit, mais nous montrons les
dents pour une Europe humaine vivant d'un même esprit.
Mai 2004