Non, ce n'est pas un appel à voler, violer, tuer, enfreindre les lois,
forcer la démocratie, maffioser à tout va. Que non, braves gens
! Même s'il vrai que tout Jean Valjean acculé à la survie
en aura fait sa devise comme il est moral qu'un homme défende son droit
à l'existence contre ceux qui spéculent sur sa peau. Dans un
pays défaillant, l'extrême corruption peut conduire à
la mort les inconditionnels d'une honnêteté extrême. La
faim justifie tous les moyens qui contribuent à l'apaiser. Quand l'humiliation
s'ajoute à l'humiliation, que la justice cède le pas aux intérêts
politiques, que les hommes déshumanisent le droit, que les plus bafoués
d'un pays deviennent les plus niés de l'humanité tout entière,
que l'avenir ouvre les portes aux criminels oublieux de leurs crimes…
que reste-t-il à faire ou espérer ?
Aujourd'hui les Arméniens veulent faire entendre leur deuil dans un
monde assourdi par les musiques du désir et du plaisir. Ils ne voudraient
pas que meure leur mémoire dans un monde qui broie tout ce qui n'est
pas médiatisable. En somme, se comporter honnêtement pour recueillir
un minimum de considération de la part de gens placés assez
haut pour avoir agi au mieux de leurs seuls intérêts et au mépris
de toute morale.
Premiers génocidés du XXe siècle, ils sont parmi les
derniers à ne pas être reconnus comme tels, confiant à
l'historien le soin de continuer à parler pour eux. S'ils ont inauguré
un temps une culture de la confrontation violente, ciblée et directe,
les voici aujourd'hui réduits à vendre leurs chrysanthèmes
sur les marchés des médias et des politiciens. Ils ont bien
appris le respect des choses, tellement bien que leur culture d'adoption n'a
rien fait d'autre que leur voler leur histoire au profit d'intérêts
qui ne les regardent plus.
Or, les Arméniens ont à dire des vérités tragiques
aux hommes. Mais s'ils le font avec trop de ménagement, trop de commémorations,
trop d'honnêteté, ils auront bientôt honte d'avouer qu'ils
sont les fils et les petits-fils d'un génocide impuni et même
primé. Ils oublient trop souvent qu'ils sont une des dernières
voix de l'humanisme dans une Europe tentée par le cynisme des intérêts
économiques et stratégiques.
Ils oublient, comme le dirait mon ami Micha, que le droit ne se donne pas,
mais qu'il s'obtient à l'arraché.
Denis Donikian
In Yevrobatsi.org 11/04/2004