8 mars, fête de la femme, défaite de la démocratie.


Affiché sur Yevrobatsi.org le 12 mars 2005

En Arménie, au regard de la condition féminine, l'homme perpétue le triomphe du faux. S'il rate toutes les cibles sociales et politiques, c'est bien que son esprit est enfermé dans une représentation bancale de l'humanité, une représentation confortable pour lui et forcément inconfortable pour d'autres que lui, pour ne pas dire humiliante.

Cette clôture idéologique de l'homme dans une conception de la société qui garantit l'usage de ses manœuvres produit par le même coup l'enfermement de la femme dans des fonctions sociales qui assurent son aliénation.

Le sens de la famille dont on nous rebat les oreilles pour reconnaître le bien-fondé des traditions arméniennes repose sur un non-sens humain. Le mariage n'est que le masque institutionnel d'un rapport de domination à ce point subtilement et profondément intégré dans les esprits qu'il est devenu imperceptible aux yeux des protagonistes.

Comme hier, au cours du génocide, aujourd'hui, en Arménie, les Arméniennes cristallisent les souffrances du peuple, en tant que mères, épouses et femmes. Mais maintenant, elles supportent en plus le poids d'une discrimination interne à laquelle s'ajoute un contrôle social aussi dur qu'il est permanent. C'est que, au-delà, de ses réussites intellectuelles, de ses avancées sociales, des conditions économiques désastreuses exceptionnelles qui ont détruit la cellule familiale, la femme joue toujours ce rôle subalterne de naissance dans une société foncièrement marquée par le complexe du spermatozoïde. En effet, en Arménie, la femme voit s'ouvrir devant elles les portes de l'instruction et se fermer celles de l'action politique. Comme si on lui offrait le monde du savoir, non son usage au sein de la société civile. Or le savoir associé à une connaissance intime de l'humiliation est bien plus efficace en politique que le savoir des dominateurs qui n'ont d'autre souci que de perpétuer leur domination. Voilà pourquoi en Arménie, la " machismisation " de la politique détruit les ferments d'un véritable changement. D'autant qu'il n'existe aucune volonté de la part du pouvoir ou des parlementaires pour accompagner la mise en œuvre réelle d'une participation des femmes à la gestion du pays.

Si, comme le montre notre sondage fait en Arménie même, les femmes semblent commencer à sortir de cette cuisine idéologique où on les a toujours confinées, il reste que les hommes sont encore à mille lieux de pouvoir remettre en cause le confort dogmatique dans lequel ils baignent depuis l'enfance. C'est dire que, oui, toute la société est en cause dans la perpétuation de cet état de fait où les hommes imposent leurs vues et où les femmes n'ont d'autre choix que de les alimenter dans un système éducatif où elles n'osent encore introduire plus de sagesse, de mesure et d'égalité.
Il suffit de lire l'interview d'Eleonora Manandian pour se rendre compte de la sagacité des femmes dans les solutions à apporter aux problèmes de la société arménienne. Quand les hommes font dans la gestion des conflits, les femmes agissent en profondeur dans la gestation des mentalités. Elles savent porter une idée à son terme. Et cette idée est foncièrement politique et culturelle. Non, le 8 mars n'est pas une fête pour la femme, mais une défaite de plus de la démocratie. Ce jour nous rappelle le déficit démocratique qui existe encore, en Arménie comme ailleurs, où la femme n'est pas encouragée à devenir un être humain et politique à part entière. Mais en Arménie, les femmes prennent l'avenir du pays en mains, sans les hommes, malgré les hommes et au-delà des hommes. Pour le rendre plus juste et le porter plus loin.

mars 2005

 

 

 

Yevrobatsi

Accueil

Aides et téléchargement