GIROUD

primitif primaire, Olivier Giroud
( rêveries et considérations sur pièces )

par Denis Donikian
( 1997 )

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Qu'est-ce que c'est ?

   Des masses écrasées, ramassées, dressées comme des livres ou posées comme des merdes, comme des cervelles figées, masses contractées, concentrées, ou taillées, angulées, etc, au sein desquelles sont des ouvertures qui tournent court, des entrées (seulement !) de labyrinthes, des promesses de pénétration, où sont emprisonnés des espaces sans nom dont il faudra bien déterminer le sens. De sorte que le visuellement lourd fait alliance avec le vide. Toute l'œuvre d'Olivier Giroud est dans cet enlèvement subtile de matière au sein d'un volume.

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   D'autres vous élaborent des formes normales, des formes immédiatement finies, des formes qui comblent le regard, assujetties à votre réalité. En somme, à mi-chemin entre la figuration la plus réaliste et l'abstraction pure. Avec O. Giroud c'est peut-être un mur, peut-être un livre, ou bien des hémisphères cérébraux ( nous l'avons dit ). À peine. Sans plus. Car d'emblée l'œil ne retrouve pas son lieu ; errant, suspendu, noyé dans un univers magique. Rien à voir avec notre Loi. Une exposition de ces œuvres suffit à contracter autour d'elles le silence de la salle. Mieux : chacune constitue un réceptacle où se précipite l'espace. (Et pas n'importe quel espace : d'essence sacrée, d'humeur sexuelle et religieuse).

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   Mariage entre vide et plein. Drôle de couple. Le vide est taillé dans la masse. Si la masse est effectivement massée, battue, poussée vers son centre, grossièrement forcée à prendre un aspect qui ne sera pas léché, lissé, civilisé en quelque sorte, le creux, en revanche implique une certaine rationalité du geste. On coupe dans le beurre de la glaise, on tranche jusqu'à obtenir des angles, des entrées mortes, fausses, décevantes pour l'œil mais inventive pour l'esprit. On ne sait alors à qui accorder la prééminence, si c'est au vide ou au plein. Le magmatique embrasse le manque. Toute la forme du manque enserrée dans les paumes de la matière. Cette matière produit l'interstice. En quelque sorte, répétons-le, O. Giroud sculpte véritablement l'espace puisque la faille n'est faille que par les limites matérielles, les frontières charnelles qui arrêtent ses débordements.

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   On pourrait croire que les lèvres de ces entrées en matière sont exactement complémentaires. Que les angles rentrants sont appelés à coïncider avec les sortants. Mais il n'en est rien. Préférence est donnée à l'arythmie des bords. Aucune volonté de construction, mais cette touche de fantaisie dans le rationnel qui sied à l'art pour que soit évitée toute confusion avec un quelconque artisanat où l'arithmétique permet la mise en œuvre de l'objet. Ici, ce n'est pas la forme nombrée dont il s'agit, celle qui convient à l'assemblage des pièces, mais la forme qui relève du géométrique en sa plus pure gratuité. En somme, une évocation désabusée de la mécanique comme dérisoire ferment de civilisation.

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   Il faut dire aussi comme elles fascinent, ces entrées. D'ailleurs on ne serait pas très loin de voir dans ces sculptures une abstraction de la grotte. Notre préhistoire en quelque sorte. La grotte est bouche d'ombre. Invitation à la connaissance. Mais nous sommes là, nous vivons sur le seuil de la grotte, au lieu de rencontre du jour et de la nuit. Chez O. Giroud, ces entrées ont un fond, servant d'écran platonicien sur lequel surgissent pleinement révélées nos illusions. Grotte également de l'apparition mariale, où l'inhabité maintenant est attente de sens ; le plus sauvage des lieux choisis par l'homme dans sa quête de divinité. Mais l'homme préhistorique, quant à lui, ose dépasser le seuil, dépasser le fond obscur de la grotte, entrer dans le monde du mystère et, avec sa lumière, rapporter sur les parois ce qu'il a vu en plein jour. Il décrypte en fait son propre esprit ; c'est le début d'un dévoilement comme si l'art était pénétration au cœur du labyrinthe humain.

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   Abstraction avons-nous dit, mais de quoi encore ? Certaines pièces sont figures de recueillement en ce sens qu'elles semblent retenir en elles une part d'espace spiritualisé. Moins ces urnes sacrées auxquelles elles pourraient faire penser, où est maintenu le feu du vide, cette parcelle précieuse de vraie vie, de force fondée sur le non-agir cher à la philosophie taoïste, que les signes visibles de la prière. Voyons dans ces sculptures d'O. Giroud des formes extrêmes d'abstraction. Nul doute qu'il se trouve aux dernières limites d'une série d'œuvres qui ont représenté la spiritualité occidentale. Les cathédrales gothiques, si massives et légères, dont les lignes dominantes sont tendues vers le haut, où le matériau a pour fonction d'emprisonner, de modeler un espace immatériel, se trouveraient à l'origine du parcours. Avec sa "Cathédrale", Rodin réduit à deux mains en prière les édifices monumentaux pour les ramener à leur plus simple expression. Là encore, les mains emprisonnent et modèlent un espace métaphysique. L'épure proposée par O. Giroud est épuration extrême des représentations. Si extrêmes que les mains de la " Cathédrale" sont assujetties à la matière. Seul intéresse le vide profond, ce précipité d'espace religieux que "dégage" l'anfractuosité.

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   Rodin encore, mais sur un autre registre : " la Douleur". Toutes les lignes de la tête sont construites en référence à la bouche : ligne des cheveux, ligne du front, ligne des arcades, forme des yeux, base du nez, arc brisé au menton de la mâchoire. A bien y regarder, O. Giroud fait converger les lignes de masse vers l'entaillement, lequel prend parfois la forme d'une bouche exprimant la douleur folle. Quelque chose de pneumatique inspire la fracture, soudain l'éclair qui casse l'harmonie initiale. On serait presque autorisé d'ailleurs à voir dans ces trouées qui s'introduisent comme par effraction dans la chair de la glaise la marque d'un pessimisme, la volonté de dire la rupture produite par l'homme au sein de la matière primitive, la croyance presque manichéenne qu'au cœur du monde les harmoniques du vivant et les dissonances du désordre cohabitent nécessairement. Ces blessures d'incohérence dans le système établi, qu'il soit social ou qu'il soit naturel, sont l'art même. Plutôt le troublé des lignes que le fini pur et trop simple.

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   Mais en réalité avec O. Giroud on n'a moins affaire à un corps violemment tailladé qu'à un duo de forces passivement - pour ne pas dire pacifiquement - contradictoires. Le chaos, la déflagration, l'effet de choc à la manière d'Arman ne sont pas ici production d'un style. Les incisions y sont d'ailleurs à ce point banalisées que l'œil les remarque à peine. Elles sont intégrées naturellement à l'ensemble plutôt qu'introduites d'une façon artificielle. Elles font partie d'un tout et occupent dans cette partition matérielle une fonction esthétique nécessaire.

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   Si l'œil se déplace dans ce type d'explication, la symbolique devient tout autre. Certaines pièces se comprennent alors comme des corps féminins où seul subsisterait le signe de la féminité. O. Giroud irait plus loin que Giacometti qui, avec sa "Femme-cuiller ", donne tout de même un corps à voir autour du réceptacle utérin auquel il réduit la féminité. Ici, rien de tout cela. Le sexe seul est montré dans toute son improbabilité puisque l'entour est négligé, invisible, " donné" comme spéculation pure.

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   Mais c'est dans la dialectique coïtale que se révèle le mieux la sexualisation des formes. Vue en coupe, l'imbrication peut être signe d'harmonie, en ce sens que les organes paraissent coïncider comme tenon et mortaise, mais sans qu'il y ait forcément, serrage bord à bord, embrassement au plus étroit. L'homme est dans la femme comme en sa propre origine, habitant sa nostalgie pré-natale. Ou bien, le couple humain se réduit à deux masses en regard l'une de l'autre, dans une sorte de proximité distante, par quoi les pièces créent entre elles des espaces psychiques, des attentes conflictuelles, des rentrants très ouverts, des sortants virtualisés. La solidité des masses aurait pour fonction de durcir les relations ou de densifier les atmosphères. L'examen des angles, des inclinaisons ouvre des perspectives psychologiques qui vont de la tendresse à l'entretien du mystère qui anime le couple. De la sorte, les pièces duales, quand elles sont nettement symétriques, au point qu'elles appellent des rapprochements, des complétudes en vue de former une figure parfaite, semblables dans leur apparence générale voulue par l'artiste, mais si différentes dans le détail des textures provoquées par le hasard, proposent des optimismes d'autant plus allégoriques qu'elles peuvent être traversées par des tubes de plexiglass, comme pour matérialiser l'union dans la distance. Il y aurait beaucoup à dire sur l'intrusion du plexiglass dans un univers essentiellement fondé sur l'usage de la terre. Outre que c'est à la liberté de l'artiste que revient le choix des ingrédients et des supports, ici le mariage d'un produit industriel et d'un matériau parmi les plus anciens qui soient dans la pratique des représentations esthétiques ou des formes utilitaires ne relève pas de la pure fantaisie, mais symbolise le hors-temps, en réunissant dans le temps de l'œuvre des figures ordinairement opposées, à savoir l'ancien et le moderne, l'artisanal et l'industriel, l'opaque et le transparent, le cylindrique et l'angulaire, le lisse et le rugueux, le liquide (solidifié ) et le terrestre, etc. L' œil peut être choqué par ces alliances matérielles ( et c'est tant mieux ! ), O. Giroud en use comme d'une profondeur dont la profusion fait éclater l'apparence primaire, établissant ainsi des répercussions de sens, des répétitions symboliques, des tautologies à multiples facettes... Un hymne à l'amour d'une fulgurante modernité, comme on ne l'a jamais dit, et d'une audace, s'il vous plaît, dans le minimalisme, le signifiant, l'inhabituel, qui permet de dire que l'inventivité réelle peut chasser l'hier des formes d'un seul tour de mains.

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   L'être-artiste ne va pas sans courage. Cœur à l'ouvrage, il se doit. Mais après... Quand dans le bizarre bazar informulé des forces qui l'animent, l'artiste a pu tant bien que mal exprimer l'une d'elles, qu'il a expatrié vers le jour tel ou tel événement de son théâtre intérieur... La chose faite, il s'étonne. Il a sorti de lui cette émerveilleuse merde, et il s'étonne. De l'art ça ? De fait, mauvaise question. Un artiste vrai n'est jamais dans cette problématique, art ou non-art. Pourvu que sa production lui ressemble et ne ressemble à rien d'autre qui fut auparavant. L'informulé intime quand il vient au jour trouve sa figure comme un informe ressemblant (cf Georges Didi- Huberman et l'exposition L'informe : mode d'emploi à Beaubourg (1996) avec Rosalind Krauss et Yves-Alain Bois comme commissaires ). Et cette énorme incongruïté, ce brouillage des géométries, cette intrusion dans le temps et l'espace technicisés d'une forme qui ne répond à rien, il va falloir le montrer, affronter des incompréhensions, mille visions superficielles du monde. En ce sens l'art est ridicule, il ne se rationalise pas, et c'est lui qui a finalement raison. Raison de quoi ? Des forces du sommeil, des léthargies visuelles, du bon et du rassurant. Car une œuvre de Giroud, qui relève aussi bien de l'humain en raison de l'acte qui s'y est exprimé que de la chose nature en raison du matériau d'origine, ça inquiète, ça déchire quelque chose en nous, ça rend perplexe, ça produit une émotion qu'on ne se connaissait pas.

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   Sans titre, les œuvres d'Olivier Giroud. Heureusement. Le titre dégrade la signification, formalise l'informel, donne des contours à ce qui échappe précisément à l'expression fermée et définitive. On indique des dimensions sans plus, on nomme le matériau. Mais jamais on n'osera se substituer à l'innommable de l'œuvre même. En ce sens, ce que fait Olivier Giroud, c'est de la matière qui ne relève ni du psychologique, ni du métaphysique, ni de l'art. Faire de l'art, c'est n'en point faire. Le " sans titre" veut dire qu'on ne sait pas ce qu'on a fait. On œuvre dans l'impersonnel. Mais on ouvre des voies. On fait éclore des profondeurs, on les fait sortir de leur champ clos.

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   L'intérêt de ces formes, c'est qu'elles laissent parler le matériau : texture, couleur, grain. On veille bien à lui conserver son importance. La terre n'est pas utilisée comme support à une forme au point que celle-ci fasse oublier celle-là. L'intervention s'opère comme une blessure dans le tas de manière à réorchestrer les lignes. Alors s'enchevêtrent les rondeurs et les incisions. En ce sens, il s'agit de jouer sur la mixité optique, d'interrompre l'unité. En réalité, la désorganisation relève plutôt d'une interpénétration des surfaces, le plat communique avec le courbe, le lisse avec le rugueux, le continu avec le discontinu. On se refuse aux uniformités idéalistes pour mieux laisser s'exprimer le dialogue des contraires. Il s'agit tellement de contrarier notre humanisme esthétique qu'on lui préférera la saine impureté des règnes. S'il y a unité dans une œuvre c'est qu'y sont concentrés en un mariage fortement compacté ordre et désordre, rationalité et désir.


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   Au "qu'est-ce que c'est ?" du spectateur soucieux de pénétrer dans ces "choses" par un sens, l'œuvre se dérobe toujours. Aucune réponse n'est possible dans l'ordre de l'ancien. Les références s'abolissent aussitôt. Les critères mêmes de l'objet s'en prennent activement à notre faculté de juger. On est ici dans le non-appris le plus absolu. Ainsi en va-t-il de tout travail qui relève du pur contemporain. On serait en droit de soupçonner que ce contemporain-là se fait si contemporain de l'évolution esthétique, si pleinement inscrit dans un processus d'exploration des possibles, que l'amateur moyen ressent sa distance à l'œuvre comme une invitation à l'étonnement. Distance interrogeante dans la mesure où la densité de la chose créée devient le produit d'une rencontre. Mais l'œuvre ne se saisit pas. Elle repousse l'intelligence tant celle-ci correspond mal à son univers. L'entreprise d'Olivier Giroud relève plutôt du poétique (faute de mieux, c'est ce terme qui paraît ici convenir ). Poétique des masses et des interstices, certes, mais surtout en raison des éclosions métaphoriques qu'ils suscitent en nous. Et pourquoi pas aussi ces immenses rêveries sur les ruines, ce travail tenace, indéfectible à trouver son chemin ( Lorand Gaspar à propos de l'œuvre d'Olivier Giroud ), ces bouches d'ombre, ces angles inutiles, ces forteresses gardiennes du rien... Et j'en passe. L'œuvre ne s'épuise pas justement pour la raison qu'elle n'a rien à dire. Alors l'interrogation devient agissante et pique l'imagination au meilleur endroit. La distance multiplie les signes. L'art contemporain peut être ainsi : un commencement sans fin qui se conquiert par l'attitude patiente et réceptive d'un œil surdimensionné par ces coffrets de temps et d'espace que sont les productions d'Olivier Giroud. À l'inverse, l'art contemporain peut déterminer aussi une distance qui se durcit entre le faux amateur, le spectateur snob, parleur de l'art plutôt qu'habité par ça, une distance qui ne se réduit pas, qui incite au regard dérobé et pousse à poursuivre la visite au pas de charge, tant ça répugne, ça vous crie à la gueule, ça vous perce droit à la tête... Cette distance repoussante, des artistes la recherchent. On pourrait presque dire qu'ils la convoitent. On n'est pas là dans un défilé de mode, que diable !


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   Le propos d'Olivier Giroud... délibérément humaniste. Mais fi du visage ! De la figuration faciale avec toute la gamme des attitudes et des expressions ! Il s'agit ici d'une volonté (!) d'épuration située au-delà des abstractions primaires comme on en trouve chez les découvreurs ( peintres ou autres ). De fait, la démarche qui vise à dégraisser au profit unique du crucial, conduit l'artiste à minimaliser les formes jusqu'à les réduire parfois à une simple dualité ( fût-elle purement apparente, car cette dualité est productrice d'autres dualités, comme en miroir ). On aboutit ainsi à une sorte de transabstractivité où rien d'humain dans les lignes ne devient reconnaissable. Forcément, c'était rendre difficile l'accès aux œuvres par un éloignement qui en fait disparaître les références. Il s'agit de dire l'homme autrement. Non plus à la manière de Rodin, ni à celle de Giacometti ou Gargallo, ni même de Brancusi. Et pourtant, nul doute qu'Olivier Giroud ne se trouve sur cette voie tracée par eux, dans cette lignée d'artistes qui ont pour ambition d'amaigrir les formes pour mieux donner à lire le symptômatique intemporel de l'œuvre grâce à la transparence de la construction. Si Rodin couvre son Balzac de matière, pour le massifier et le gigantiser, Si Giacometti misérabilise au contraire son homme qui marche jusqu'à lui conférer une allure toute pascalienne, si Gargallo rend transparent son prophète dans l'intention de faire monter les lignes, les muscles et les nerfs jusqu'à la bouche, lieu de toutes les indignations, il restait à Brancusi d'essentialiser les formes. Olivier Giroud passe littéralement la frontière. L'enlèvement de la matière n'a plus pour objectif d'actualiser le plein, la matière, support qui soutient le sens. Le sens est ici l'absence même. Le vide est unificateur car il réunit les masses autour de lui. Trou géométrisé, plaie stylisée, manque métaphysisé... On est encore dans l'humain.

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   Des morceaux de ruines qui sont comme des châteaux. Des formes superposées qui sont comme des briques de terre taillées sur un côté, laissées nature sur un autre... Ainsi s'organisent des intériorités, des cours, des aménagements d'espace intime. Des recueillements. Des urnes pour y recueillir le silence. Ces objets d'exposition dynamisent leurs entours en ce qu'ils sont producteurs de concentration, de tension, d'aspiration. Chaque pièce magnétise le champ visuel qui le circonscrit. Comment les montrer sous leur jour le meilleur si ce n'est en tenant compte de l'autonomie que requiert chacune d'elles. Chacune jalousement exige sa part d'attention. C'est à cette condition qu'elle livrera ses profondeurs. Il suffit que ces restes de monument hypothétique se présentent à l'esprit pour que soit suggérée la totalité à laquelle ils auraient appartenu. Les ruines historiques conduisent à élaborer des pans de civilisations disparues. Mais les déchets d'Olivier Giroud provoquent dans la conscience des montées de mondes aux archaïsmes purement personnels, de cultures imaginaires ancrées dans des époques indescriptibles autrement. On naît dans l'inépuisable.

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   On le sent : Olivier Giroud se défend constamment contre les agressions de sa culture. S'il la repousse, il ne la nie pas pour autant. Mais le drame qui anime sa manière vient de ce qu'elle semble réclamer à la matière sa part de primitivité. La terre invite aux gestes premiers. La culture consisterait à rendre contemporain l'âge archaïque où l'homme mit en œuvre le monde extérieur. Un âge où il affirma sa conscience par l'expression de sa différence avec lui. Certains utilisent aujourd'hui un matériau moderne pour retrouver ce geste initial, pur de toute sophistication. D'autres jouent avec les matières les plus classiques. Mais c'est toujours la même relation primordiale avec le monde. L'artiste co-respond avec son environnement. L'expression artitisque précise notre charge d'émerveillement naïf, de stupidité devant l'absurde, de rêverie vertigineuse.

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   Lentement, avec obstination, l' œuvre produit son histoire. Mais le parcours ne progresse pas d'une manière linéaire. Ces variations sur un même thème qui font l' œuvre se développent selon une circularité en forme de spirale. Qu'est-ce qui se cherche là ? entend-on se dire. Au gré des métamorphoses, on comprend que chaque pièce constitue l'avatar d'une autre, que chacune construit l'autre en même temps qu'elle la détruit, que rien n'est et ne sera arrêté. Mais le temps n'est pas mesuré comme il est fait dans l'histoire, les repères ne se succèdent pas. On travaille plutôt dans un non-temps, un temps qui n'est pas nombré mais innombrable, dans l'hier d'un ailleurs, dans l'utopie d'un avenir, dans une présence de la matière. L'essentiel est de rester au plus près de sa question, de ne pas lâcher prise, quitte à s'engouffrer dans le trou qu'elle creuse au plus profond. Désir au risque du désordre.


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