Erevan for rêveurs (35)

Retour d'Arménie, que reste-t-il des bruits et des fureurs qui ont agité les esprits ? Au-delà des déclarations d'appareil, il nous faut chercher dans le peuple la " chose " qui fripe son âme en permanence depuis plusieurs années. La crise que traverse l'Arménie aura montré qu'une part non négligeable de la conscience arménienne venait d'accéder au sentiment d'injustice faute de pouvoir jouir d'une justice pleine et entière. En ce sens, le ressentiment aura été le seul droit que des Arméniens courageux auront invariablement exprimé durant les élections présidentielles jusqu'aux événements du 1er mars. Pour autant, ces événements n'auront pas éteint une longue expérience de frustration continue. L'État se trompe qui croit avoir tué dans l'œuf le vide actif qui couve en chaque Arménien. La perspective d'une justice juste augure d'un état pré-révolutionnaire, même si aujourd'hui les groupes capables de formuler et de porter ce mouvement irréversible n'existent pas vraiment. Mis à part ces étudiants qui seraient aujourd'hui à la pointe de la contestation, la classe ouvrière et la paysannerie font défaut en raison d'un manque d'usines et d'une campagne en déshérence. Mais aucun état d'urgence ne pourra empêcher que l'information s'infiltre dans les consciences et qu'elle nourrisse le ressentiment. Même si les déclarations lancées du haut des marches de l'Opéra, scandées en réponse par des hourra ! des slogans ou des cris de joie avaient quelque chose de sauvage, même si les autorités et leurs collabos pouvaient reprocher à ces contestataires l'absence de programme construit et positif, il reste que l'essentiel se situait avant tout dans un besoin profond de rupture afin de réactiver l'universel dans un pays gangrené par le clanisme, l'opacité et la froide instrumentalisation du politique au profit d'un féodalisme marchand. Pour conclure, j'emprunterai à Slavoj Zizek ces mots qui s'appliquent précisément à la contestation qui fit souffler sur l'Arménie le vent d'une nouvelle espérance : " Notre devoir principal, aujourd'hui, même si on ne sait pas quoi faire, c'est de maintenir l'espace ouvert. Un acte éthique, pour moi, c'est un geste minoritaire qui a la prétention de réarticuler l'universel. "

 

 

Articles divers

Accueil

Aides et téléchargements


Photo : Denis Donikian