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27 sonnets pour un ami sidéré
(in memoriam Bruno S.)
Écrit du 28 juin au 6 juillet 1996
1
Entre nous il y avait peu de paroles Nous ne respirions plus
les mêmes jours Mais la même lumière coulée de
mots sauvages
Plutôt que le pays son peuple éperonnait ton existence
Il n'avait plus ce poids de dieu pour moi qui m'acharnais plutôt à
m'en décaptiver
Que reste-t-il là où tu es si loin que tu sembles perdu
Peut-être me vois-tu en train d'écrire sur toi absent ces pages
Absent / errant autour de nous murés dans un feu d'impuissance
Que reste-t-il de tes dieux d'ici-bas par quoi tu voulais nous sauver
Trop tôt jeté sur la voie par père et
mère qui n'ont pas su
reconnaître en toi-même l'idéal de tes rages
tu vécus pour écrire et pour t'illuminer de vrai
Car tu étais inconciliable avec les hommes convenus
Tu étais dans la vie ce qui passe à mes yeux un nuage
Pourtant ton mal je n'ai pas su le lire Dépatrié et souvent
si peu gai
2
Tu m'es venu c'était un soir m'interroger
comme un auteur ( j'habitais sans alliance
ni fers à lyon un deux-pièces avec vue
sur église ) réduit nuit et jour à son moi
Voilà qui était dur parler de soi partager
des chemins ruminer de vieux silences
maudissants Et tu notais bêtement sans effroi
rêves et rancunes qui font les passions noires et téméraires
J'avais raison ouverte et déjà commençais
à juger
froidement mes paroles Je n'étais plus dans l'innocence
du peuple originaire alors que toi...
J'étais dans l'inquiétude et me cherchais à
dégager
Car après LE pays j'en connus d'autres et de plus denses
Et d'autres mots me ravissaient plus que ma voix
3
J'écris tout ça sans trop savoir comment
tu l'entendrais Toi le sautillant au style
inquiétant d'innocence et de malédiction
avec un rythme tout de joie mise en oeuvre
Car c'était ça ta voix parler d'un certain châtiment
en lutin peu soucieux des imbécil
lités lyriques toujours en vague miroitant des fictions
si éthérées qu'on ne savait par quel chemin les prendre
En quoi nous n'étions pas évidemment
de même allure Tu courais comme un félin subtil
rêvant de trouer le temps par une action
contre la maudissure qui fit de nous injustement
des ingrandis dans l'histoire poids en pays d'exil
et vomis d'hommes sans rémission
4
Je ne sais si ta mort fut banale
Tant d'autres s'éteignaient qui avaient ta jeunesse
comme des purs qui auraient offensé
piégés dans leur jouir d'un lent pourrissement sadique
Mais je sais que ta mort fit mal
à ma parole Car ce fut l'incroyable qui ne cesse
encore de s'acharner m'oblige à dépenser
mes rêves de vivant sourd et mes ciels esthétiques
Qu'avais-tu à vieillir aussi vite
poussé par la cascade insidieuse
vers là où tu ne savais rien
à quoi tu ne pouvais même plus échapper
Saisi tu n'étais plus ce qui pouvait écrire
en voyant vivre ta parole Alors qu'as-tu pensé
5
Tellement te manquait le passé ( celui-là
dont on vient - paraît-il - cette sédimentation
de morts enchâssés dans la même parole )
qu'il fut ton lieu où tout apprendre
C'était là ta Mère, le sable où
serait née
ton ombre avec quoi tu voulais façonner ton action
Mère de sang après le Bonheur d'origine
ces jours purs qui s'offraient aux vivants
Ton île était là-bas et fabuleusement
née d'un manque achevé de calme et de confiance
La chambre noire où tu nourrissais tes fictions
humide et dure odeur d'immeuble rance
c'était un lieu pour vivre avec ta vie sans père
ni mère loin d'eux hors toute prostitution
6
Je parle à ton silence On dirait seul
Et pourtant je me sais uni à toi par la parole
à qui dans le fond nous aurons tout donné
Le vide autour de nous c'est d'ignorer qu'il vit
Tous ceux auxquels tu as offert ta voix
ils animaient tes sources Et même à travers toi
s'appartenaient Mais voici qu'à tes questions
sur l'outremort tes vivants n'avaient plus d'aube
à dire que celle des aurores sur terre hier perdues
et à revoir Rien en somme que de l'histoire
à resservir à celui-là qui avait faim
de voir apparaître la vie Puis le captif cadavéreux
a repris son combat prophétique et du haut de son lit
lance à ses frères polytiques un pathétique appel à
l'UN
7
Alors qu'as-tu pensé au plus nourri de la cascade
A quoi à qui à moins qu'au fond tout te fût noir et
assourdi
Pensé autant que peut un homme qu'un voile étreint et rend
aveugle
vivant cent fois ce qu'il vécut banni naufrageant dans ses ruines
Tandis qu'autour de toi s'affairait le monde grassement
que les sains en sursis allaient venaient dans la lumière
Ton oeil sombrait dans l'obscurci des signes et l'insensé du temps
toi si pur qu'on avait gavé d'affection enchâssante et fictive
Qu'as-tu pensé alors qui ne me fut point dit
On me ferma ta porte aux temps de tes méchantes maigritudes
La dernière fois que je t'ai vu tu avais les yeux morts
et tu cherchais en tâtonnant l'interrupteur de l'abat-jour
Moi à l'écart enchaîné au jour qui manifeste
les lignes
je regardais tes mains ivres de leur désarroi
8
C'est humblement et dans la force que tu fis ta passion
Quitte à ne pas travailler Tu n'avais peur
que de gâcher tes faims dans l'ignoble et l'abîme
où tombent les craintifs condamnés à nourrir leur poids
Seul C'était pas ton malheur Tu dressais contre tous
un chemin d'aise et de malaises L'esprit apprivoisant
l'espace tu te créais père et famille
autrement que nature à quoi tu devins étranger
Tu vivais équivoquement Enfant paradoxal
d'un couple à deux histoires sans doute mal embrassées
Proscrit d'avoir choisi l'orgueil contre le double insupportable
J'ai mis du temps à savoir ça Toi qui faisais parler
pour mieux désorienter tout vœu d'entrer dans tes énigmes
tu vivais ta violence en toute banalité
9
Je marche rue daguerre avec des qui des quoi Afflue aussitôt toi
naguère quand nous allions à deux en confiance ou par nécessité
Ou bien quand c'était pour te voir rue roger régler
un texte ou pour je ne sais quelle affaire Parler rencontrer boire
Un jour nous viendrons pour te prendre emporter ta douleur
vers des mieux utopiques
Nous avons craint pour toi faute de pouvoir crier C'était pour désarmer
l'inépuisable
assèchement qui t'appelait Mais nul homme bon mage ou prophète
ne sut révulser la course ensauvagée de ces malédictions
Je marche rue daguerre pour y chercher ta vie perdue
vers toi avec ou sans je ne sais plus comme si j'entendais loin ta voix
Quel invisible t'a frappé Si fort qu'on ne sait plus comment nous
sortirons de ça
Pour moi je n'en peux plus d'interroger transes et traces
des puissances vivantes qui ont semé sur nous leur avarice
puisque t'ont quitté toutes faims et fureurs et qu'elles nous ont
quittés
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Hôpital Laennec un jour pour te rendre visite Je frappe La porte est
blanche
Et c'est ta mère qui apparaît l'agisseuse du temps filial J'ai
dans ma tête encore
ses yeux d'un dur vertigineux et affûté Impossible d'entrer
Cerbère gardait le fils de chair qu'elle avait si bel et bien aimé
à l'user jusqu'au drame
C'est moi pourtant au téléphone qui lui appris
ton mal J'ai dû jouer ce rôle
du messager qui empoigne l'âme-maîtresse de nos vies Il n'y
avait rien à répondre
Qu' à survivre au sidérant qui abolit tout homme Ferme elle
se tint Son corps
vibrait à peine ( quant à l'écho de mes paroles je
n'en sus rien )
mais montait à ses lèvres sans le nommer ce
mal de vénerie qui prend les hommes
au coeur de leurs ébats Semaines de lit et de disgrâce
et ces vieillissements du souvenir quand rien de bon ne peut être
donné
Avant ça avant que tu te vides et principalement d'espoir
tu m'accueillis à l'hôpital pour prendre en fragments mes chronobiographies
De peur sans doute que je t'échappe on ne sait dans quel amour ou
dans quelle maladie
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Sur toi fit sans doute un discours bien brossé celui que tu choisis
pour père à ta jeunesse Sur toi mort C'est du moins ce qu'ils
crurent tous
les libres les vivants abandonnant ton poids d'ignoble humanité
au rien au vain au pourri annoncé depuis le premier jour
C'était paraît-il aux premières heures
d'un jour de semaine
dans l'église obligée antichambre hymnique du paradis national
Je vécus ce jour-là comme un jour ordinaire ignorant tout
Toi ou tes autres m'avaient refusé d'être là en témoin
même dérisoire
J'ignore aussi où tu es enterré Peu d'amis j'imagine
sont au courant
même parmi tes frères longuement côtoyés ou ceux
plus abreuvés de toi
Et puis tu es parti sans être vu dans une voiture noire comme il se
doit
Où que tu sois je cherche encore On dit qu'il s'agirait
d'un cimetière
à la campagne loin de paris Mais dans le fond qu'importe ici ou là
pour moi partout est ta disparition et c'est partout pour moi que tu vis
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Maintenant là que tout est dit - à moins que tout ne se commence
-
qu'entre nous il n'est rien pas même un signe pour traverser nos mondes
rien que le temps comme il en a toujours été et comme si
demeurait étranger à ta pleine disparition tout ce qui est
ici
Jamais rien d'insolite ne se dresse devant mes yeux
pour me donner à lire ta voix Le temps reproduit ton absence
et l'épaissit Ou bien il dissout ton histoire qu'il réduit
à un nom
comme il a su réduire ta forme et ton poids dans le monde
Je pourrais dire que tu es là dans l'ordinaire des
choses
aux fous embrassements des branches quand le vent fait violence aux arbres
ou quand j'ouvre les yeux sur le ciel nouveau-né le matin
Que sais-je encore Mais je préfère écrire
en te parlant
avec ces mots qui t'ont fait vivre et croire au monde quand couché
dans ton ornière épouvantable tu écrivais en dérivant
ton corps malade
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Mais peut-être OUI peut-être après tout que c'est toi
là dans ces lignes
que je lis en croyant les écrire Que ma bouche obéit à
ta voix Que tu lâches
des lumières pour qu'elles éclatent Sinon pourquoi
comment ce don de mots écho d'une si juste plénitude
De fait c'est l'impression que nous mêlons nos règles
que nos mondes
se donnent et s'entremêlent comme la pluie aux eaux du fleuve
Au point même qu'à mes yeux j'ignore ce qui t'échoit
et ce qui me ressemble tant nous deux frémissons dans la même
coulée
Est-ce ainsi que tu veux me parler jaillir comme une source
d'un rocher dans mes histoires Et de quel ciel surgi
ton esprit vient peupler de cris infiniment lointains
le rythme humain d'une écriture qui voudrait tant éclore
à créer jusqu'à toi son chemin Mots entrenouent nos
servitudes Et
pardonne à qui trahit ce qu'il ne comprend pas
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Écrire et encore te parler Je vais qui ne sais pas
où tombera mon dernier mot celui d'une union
trouble entre l'ailleurs et là comme si
la déraison choisissait l'heure des égarements sacrés
J'écrirai sans trahir - et resterai sans lieu -
à toi frère adversaire qui par ta souffrance hier
et maintenant ton existence d'informe certitude
stimule ma blessure vers le plus aveugle du soi
J'apprendrai peut-être de ça qui m'assaille
quelque chose sur le bien innocent de la parole
Mots qui affleurent comme des îles
Maître amaigri jusqu'à la trame
ta fin me laisse un goût de laisser-fuir
tout ce qui fait poids sur le silence
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Tu étais à paris un militant de plume
Le combat des fous de la terre
c'était ton combat Pour que ce peuple devienne
le vainqueur du sort par le sang
Tout n'était que persécution Tout
superflu bavardage qui ne rendait
aux siens leur visage leur sol leurs
jours d'or contre l'effroi à fond noir
Tu croyais aux jadis d'amour au vieillir
idéal dans notre humain pays Chose que
j'avais moi-même en veillant en errant vénérée
Mais l'infâme des frères le purulent des temples
- longtemps méprise et longuement sommeil - m'obligeront
à expier le sacré dur et génie fou du sang
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Tant d'autres comme toi créatures pleins de douceur
mais raidis durement contre leur mère Qui les a faits et qui leur
a volé
d'aimer dans l'homme plus que le temps Qui leur dispute la paix du corps
maintenant que la peste jubile en eux honteusement
Vague secrète par quoi ton temps d'homme vite est passé
Et tu mourras
autant de fois qu'assassiné par les malédictions Toutes
si imprévues que paroles ni joies ni espoirs ne suffirent
à voir mieux l'avenir autrement que nuit et néant
Car tout à coup tu n'étais plus toi-même
Et tout à coup
toute puissance et toute jouissance ont glissé vers le bas
Sur ton visage à découvert tout à coup la chose sans
nom
J'ignore quand tu m'as repoussé ce trop vivant insupportable
qui venait poser sur ta vue des questions Car jamais je n'ai su
à quel moment tu cessas de t'appartenir devenu autrement
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C'était ton vœu de grandir infaillible en orphelin volontaire
Ailleurs
que sous le toit de papa l'irritant agité des affaires
qui ne t'entendait plus Ailleurs comme en exil après le brillant
du luxe
bon vivant S'accomplir dans la gêne et l'errant au gré des
uns et des autres
Condamné aux restes toi que j'ai vu cruellement finir
les plats
sans porter intérêt à la conversation Une autre fois
tu payas ton café
en sortant de ta poche mille monnaies pour y puiser ton dû
Tu habitais une chambre d'autre on ne sait qui sombre à faire peur
À ça tu resteras fidèle inexorablement
sauf aux temps difficiles
À l'hôpital te veillait ton amant lequel se mit à fuir
fort sans doute sitôt qu'il sut combien terrible était sa flamme
Tu revins après quoi chez les tiens Ton frère
naturel était là
comme un qui avait trouble humanité Je me souviens qu'une étudiante
noire
étudiait à demeure et au besoin voyait pour toi qui ne pouvais
plus voir
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Dans le fond toi et moi n'avons jamais parlé ni clairement mot contre
mot
Dynamytheur j'étais moi revenu de mes vies en terre idéale
tandis que toi
jeune herbe encore en utopie... Nous vivions sur des lignes de force
tendues comme un drapeau en toile de fond Moi pour le déchirer
toi le gonfler en voile durcie par l'enthousiasme et par la
lutte Mais ta vie
ta vie trouée ta vie tragique étrangement tu ne m'en parlais
pas
J'avais élaboré des peurs des poids des états totémiques
toi des sérénités pauvretés libres mais sans
désir ni désarroi
Que m'as-tu dit que je n'ai pas su boire ou simplement écouter
Si peu parlant quand nous étions l'un à l'autre en propos
et si peu effrayé par les silences entre nous que tu faisais
Tout de toi maintenant m'est devenu inconcevable
J'ai beau faire Ton portrait sur le mur regarde on ne sait quel lieu blanc
Serein d'avant l'outrage infligé et souverain tel que tu resteras
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Lectures que tu organisais de mes textes Vivant je l'étais
grâce à toi Non une chose errante qui écrirait
dans l'ombre ses secrets Mais tout à coup ma voix
mise au jour par des voix d'hommes et de femmes
C'était bonheur d'entendre ses mots mis en paroles
d'assister à leur danse en des bouches humaines Grand
bonheur de rencontrer sa force dans un peuple de sons
Jusqu'au jour où toi disparu furent noués les élans
Ce bien que tu nous fis s'interrompit pourquoi
Qui dans tout ça a désolé les voix des hommes
Sur toi sur nous s'abattit quelle colère Comme si tu fus
un dévoyeur Adversaire à l'œuvre d'on ne
sait quel dessein
Semeur de mots comme s'il n'en fallait pas Comme si le haut
chassait le bas pour rendre l'homme à l'homme
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Délaissé maintenant par dix fois mille choses maintenant que
ne surgit plus ta voix au téléphone pour me dire "Comment
dire " à la manière d'un pointilleux soucieux de parler
juste
maintenant qu'il me faut lever les yeux plus haut comme un esprit
malade ayant besoin de prendre goût à vie nouvelle
de
s'appuyer sur son présent de servitudes pour que mieux
s'affermisse un vœu de joie maintenant à
l'égal non des frères mais de tous ceux qui cherchent
à nouveau-naître à trouer leur poitrine
à dénouer
leurs poings à libérer leurs métamorphoses maintenant
et
de la sorte j'oublierai nos jours qui ne furent rien que jours
rien que de l'histoire vieille ornière héritée
le bouche à
oreille de nos pères dans quoi se perd la soif
se dilue se dissout se disperse la soif la soif du vivre UN
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Tu allais d'homme en homme toujours vivant plutôt
que contristé confiné réduit à mesurer ta maudissure
Tu comblais l'entre-nous en agissant par voies obliques ou multiples
ou bien poussant le dire en face comme un art
entre eux qu'il leur fallait mûrir Tu étais sang
et va-et-vient
des uns aux autres ceux-là qui vivaient contristés confinés
réduits à mesurer leur maudissure à errer des yeux
et de l'esprit dans leurs travaux abandonnés aux îles
Tu savais souhaiter et souvent obtenir Ta voix
aux inflexions attachantes jamais vile ni violente
ni exaltée ni pathétique avançait savamment
jusqu'à nous des mots propices à la rencontre
Voix qui
au téléphone louvoyait parfois pour pêcher en nous des
énigmes
et quand elle nous quittait nous rendait le silence plus blanc
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Parce que je n'écris pas je m'entends tout et tout doit être
vrai
ce que j'ai dit de toi est dit de moi sinon à ne rien dire
je serais mort c'est aussi bête que cela et le chemin à vivre
encore
serait dans une boue jusqu'à sa disparition il n'irait là
ni ailleurs
Sans toi c'est mon inexistence J'emprisonne ma vie bêtement
dans un bafouillis
défaillant dans une horizontalité immobile émaillée
de deux ou trois divertissages
du type agir-dans-l'histoire ou écrire-pour-se-voir-vivre Non je
le dis
je veux réveiller mon pesant d'os vers le haut commencer avec toi
l'impensable
faire que de là où je suis je t'entende bouger
que je monte heureusement
dans l'innovation que je m'échappe vers toi alors qu'assis j'ennuierais
tout mon corps
le précipiter hors du sac oui tout ça vers toi qui donnes
du vif à mon affaire
Mot après mot faudra s'interroger sur le vertical qui
déchire les plans
de noir en noir percer par le bas les amours grimper à l'arbre
trouer les ruines du pays jonché d'idéals et puis tout rencontrer
je crois
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Mes yeux fermés vient ton image Immobilité visage et corps
hypothétique
entrelacés Jamais un rire éclaboussant Pas un geste pas un
seul
qui t'aurait échappé Ton oeil vert sans autre éclat
que l'air de voir
ni rentré ni radieux en disait long sur l'atroce arrière-plan
De quoi laisser libre l'écoute tu parlais peu et simplement intelligent
Rarement dire fut aussi peu plaintif Tu disais tout sur un mode étranger
qu'on t'avait mis un mécanisme pour seconder le cœur ou que
ton père enfin
s'intéressait à toi Sinon rien qui fût cri auquel tu
avais droit
Ni rancunier ni vindicatif tandis qu'on jetait sur toi des
ordures
Tu n'aimais pas entendre le mal se dire ni qu'on griffe de mots tel ou tel
C'étaient pas tes amours ces musiciens du viol plus concierges qu'artistes
Et c'est toi le plus seul qu'on a sali de monstruosités
qu'on a enfoncé
à bras géants dans ses propres organes l'œil dans l'œil
nez dans le nez et
la bouche mise en gueule Toi qui sais tout ça maintenant et pourquoi
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A perpétuité entre la fin et le commencement tu es pour moi
si inconcevable libéré des idées et des autres dans
je ne sais
quel abandon éternisé mis à l'écart mis au secret
à qui
on a supprimé son corps lieu des questions qui font monter la solitude
M'épuisent me laissent intranquille ces vides ces iniquités
qui te frappèrent trop fortement Je cherche un sens à mes
stupeurs
moi déchiré par des aspirations contradictoires entre un après-tout
résigné et un après-miséricorde façon
paix radicale
Ressasseur de questions cancre qui ne sait où coller
sa voix
ni comment imbriquer les impensables enchâsser
les rythmes au sein des actes
Inaudible et dénaturé tel que tu es mais quoi
dans mon intimité
cette suppression présente que tu es ce silence et sans lieu
que tu es te voilà ce murmure qui est moi et soi-même s'écoute
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Et si par impossible si t'avait épargné le hachoir
si ton corps avait su déjouer l'extrême
extrémité et si t'avait été rendu le souffle
que
ta bouche se fût mise à parler ta voix
à me nommer au téléphone si clairement
que le passé serait passé et que tout serait
rentré dans l'ordre du vivant et de la grâce
que serait dissipé le mal sidérant
Et si tout ça et si tout ça homme revenu
des énormes limites peu rancunier
envers le monstre musicien peut-être
quoi après l'enfoncement sous le grand coup de poing
te mettrais-tu encore à chanter l'air exalté d'autrefois
à moins d'aller cueillir tes mots dans le silence
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J'ai beau dire te parler sans pudeur Facile
Absent tu n'as plus la parole pour répondre
à tout ça mes interrogations les folles
et mes ferveurs démesurées
Dans le fond l'un et l'autre nous sommes
dans le même mystère par lequel tout est un
Toi enlevé de force un certain jour
moi suspendu à mes questions
J'ignore si là où tu es si loin d'ici
tu crois encore à quoi tu crus Submergé
que tu es sans doute par les fois de ta vie
Et que là où tu es tout te regarde
jugé pour l'aberrant des signes ou
reconnu pour avoir aimé ça qui n'était rien
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Au temps des agonies lucides quand doucement
tu glissais dans l'étrange décompte vers l'au-delà
des lignes on dit que tu voulus savoir
quel autre tu allais devenir
Et puis sans doute couché dans tes obscurités
l'esprit amputé par l'incompréhensible
tu as repris ton idéale habitude
ce peuple absent qui n'en fait qu'à sa loi
celui qui croît contre sa propre disparition
cœur aimé de tous ceux qui croient dur comme terre
et lieu de toutes les convergences
Puisque là est ta nécessité perpétuelle
tu es cela que tu as dû trouver
cela que tu cherchais ou ne recherchais pas